Du surréalisme au postcolonialisme, l’exposition Michel Leiris à Metz offre une traversée subjective du XXe siècle.
C’est une exposition-somme, dense, muséale comme on n’en voit plus beaucoup, quasi exhaustive, dont le catalogue est monumental, une exposition chargée de nombreux documents manuscrits, et forte surtout de nombreux chefs-d’œuvre signés Miró, Masson, Giacometti ou Picasso. Elle est triple, au croisement de la bibliothèque littéraire Jacques Doucet (détentrice du fonds Leiris) pour la littérature, du musée du Quai Branly pour l’ethnographie et du Centre Pompidou pour l’art du XXe siècle. Car véritable maître de l’autoanalyse littéraire, auteur de L’Age d’homme, publié en 1939 et de La Règle du jeu, une masse autobiographique allant de 1948 à 1976, l’écrivain Michel Leiris (1901-1990) fut aussi un ethnographe influent, engagé dans la défense des droits des peuples colonisés, directeur de recherches au musée de l’Homme où il occupa un bureau pendant plus de trente ans et dont il enrichit les collections grâce à la très controversée mission Dakar-Djibouti de 1931-1933. On assiste d’ailleurs, au fil de l’exposition à une ouverture progressive de l’ethnologue sur une ère postcoloniale – “Le colonialisme a fait son temps”, écrira-t-il en 1947.
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Ami de Picasso ou de Giacometti
Enfin, lié par sa femme Louise Godon à la famille du puissant marchand d’art Daniel-Henry Kahnweiler, Leiris écrivit intensément sur l’art, ami de Picasso ou de Giacometti, participant à la découverte renversante de Francis Bacon. Si bien que finalement, l’expo Leiris & Co. est une traversée, et même une histoire incarnée du XXe siècle.
Remarque : les écrivains (et ne parlons pas des philosophes) n’ont pas toujours l’œil. La perspicacité esthétique d’un Diderot ou d’un Baudelaire en leur temps est chose rare, et c’est à eux et peut-être aussi à André Breton, qu’il faut comparer l’acuité de Michel Leiris tout au long du XXe siècle. Mais contrairement à Breton avec lequel les relations furent vite tendues, Leiris ne fut le chef de file d’aucun mouvement, quand bien même il fraya tout un temps avec le groupe surréaliste avant la rupture en 1929.
Corps à corps au scalpel
Sa relation à l’art est une aventure singulière, une affaire personnelle, le verso de son œuvre autoanalytique. Celui qui comparait l’écriture de soi à l’art de la tauromachie, qui livra avec lui-même un corps à corps au scalpel, a éperdument fouillé les abîmes et les jeux de masques auxquels se vouent les grands artistes du siècle, ce qui le poussa sans doute à se trouver des doubles dans les figures du convulsif Francis Bacon ou du Cubain Wilfredo Lam, dont la peinture métissée alliant modernisme occidental et symbolisme caribéen touche profondément l’écrivain-ethnographe.
Avec Picasso, Leiris se confronte à un génie immense, dont le propre est de “couper court à toute espèce de commentaire”, propos autocritique qui fait écho à la petite phrase que lui avait adressée Pablo à la sortie d’une exposition, au début des années 20 : “Bonjour Leiris ! Alors, vous travaillez ?” La réponse à cette question ne tient pas en une phrase : elle tient en une œuvre.
Leiris & Co jusqu’au 14 septembre au Centre Pompidou-Metz, centrepompidou-metz.fr
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