A la Monnaie de Paris, Bertrand Lavier prolonge avec délectation une conversation entamée il y a plus de quarante ans avec l’artiste Raymond Hains.
“L’exposition fera-t-elle de nous tous des postmodernes heureux ?”, demandait-on au commissaire de la rétrospective Bertrand Lavier en 2012 au Centre Pompidou. Quatre ans plus tard, la question est toujours d’actualité alors que vient d’ouvrir à la Monnaie de Paris la réjouissante exposition Merci Raymond qui, promet le même Bertrand Lavier, nous fera changer de chaîne, rapport au climat ambiant.
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“Il n’y a pas de raison que cette époque soit sinistre, poursuit l’artiste réputé pour ses courts-circuits conceptuels et formels guidés par l’intelligence et l’humour, et je dis cela sans cynisme, la désinvolture étant elle aussi politique.”
La conversation n’a jamais cessé, même après la mort de Hains
De fait, on s’amuse beaucoup dans cette exposition qui poursuit une conversation entamée en 1973 avec Raymond Hains, protagoniste clé du nouveau réalisme, dans l’antre sacré d’une des enseignes de Pizza Pino sur les Champs-Elysées – “Pizza Pinault ?”, s’amuse au passage le critique d’art Bernard Marcadé, le troisième larron de l’affaire qui signe le merveilleux petit livre qui accompagne l’exposition.
La conversation n’a jamais cessé depuis, même après la mort de Hains en 2005. Son périmètre physique (et non intellectuel) bordait un triangle d’or situé non loin de la Monnaie de Paris, entre la galerie Lara Vincy où Hains vit pour la première fois le travail de Lavier, la galerie Eric Fabre, précieux soutien de Raymond Hains et bien sûr la Palette, bistro mythique du VIe arrondissement tenu par un certain monsieur Pidou. “Il y avait un ‘pont-pidou’ entre Hains et moi”, se marre aujourd’hui Bertrand Lavier.
Calembours visuels à la mords-moi-le-nœud
Le ton est donné, de calembours visuels à la mords-moi-le-nœud conceptuels, l’exposition Merci Raymond n’a rien d’une opération de panthéonisation. Elle se construit plutôt par rebonds et prolongements où l’on relit (et relie) le travail de Lavier et l’œuvre de Raymond Hains.
Sous les ors du salon d’honneur, Lavier met les pieds dans le plat en disposant “six troènes entre Matisse et Picasso”. Soit, littéralement, six de ces arbustes pris en étau entre une Chevrolet Matiz et une Xsara Picasso. Histoire d’en remettre une couche et d’adresser un clin d’œil à une œuvre in situ que son compère Raymond Hains réalisa en 1986 en plantant six ifs dans le parc de la Fondation Cartier en hommage au marquis de Bièvre qui, raconte la légende, vantait les mérites de “l’endroit décisif” pour séduire ses dames.
Un “inaction painter”
L’exposition entière est à l’image de ce pied de nez, qui se prolonge par une salle Stella dans laquelle Lavier met en regard une photographie de Raymond Hains (représentant un verre de Stella Artois devant un livre consacré à Frank Stella) et l’une de ses peintures en tube, une relecture au néon du minimalisme optique du peintre américain.
Plus loin, la collision entre les fameuses affiches lacérées de Raymond Hains et les reports sur toile de vitrines passées au blanc d’Espagne par Bertrand Lavier scelle le pacte secret qui unit ces deux artistes de la littéralité féconde. “Il était au départ photographe, rappelle Bertrand Lavier, il voyait des choses que le peintre mettait plus de temps à voir. La question du cadre évidemment est fondamentale chez lui qui se définissait comme ‘inaction painter’.” “Mes œuvres existaient avant moi, mais on ne les voyait pas parce qu’elles crevaient les yeux”, se plaisait à dire Raymond Hains.
“Il est plus littéraliste que littéraire”
“On a beaucoup évoqué la dimension littéraire de l’œuvre de Raymond Hains, souvent pour la critiquer d’ailleurs. Je pense qu’il est plus littéraliste que littéraire”, commente de son côté Bernard Marcadé avant de citer une autre formule imagée de Raymond Hains : “Comme les poètes au Moyen Age, les grands rhétoriqueurs, je prends tout au pied de la lettre pour mieux retomber sur les miens.”
Et de fait, la dernière salle de l’exposition, la Salle des skis, use jusqu’à la corde ce principe de littéralité moins inoffensif qu’il n’y paraît, en réunissant autour de la palissade de skis de Raymond Hains une dizaine d’artistes (et pas des moindres) dont les noms se terminent en “ski” : Christian Boltanski, Claude Closky, Gérard Gasiorowski et même Igor Stravinsky dont le Petrouchka a été utilisé comme bande-son.
Des touches plus intimes qui disent une amitié profonde
L’exposition est par ailleurs ponctuée de touches plus intimes qui disent aussi une amitié profonde : à l’image de ce panneau en lambeau, une réclame pour l’office notarial du père de Bertrand Lavier prélevé par Raymond Hains ; ou encore cette antichambre que Lavier a baptisée la Salle des sosies, dans laquelle sont exposés à côté des “Macintoshages” de Raymond Hains à faire pâlir les artistes 2.0, des portraits d’avatars : Lavier en Raymond Depardon (dont la ressemblance lorsqu’ils étaient jeunes est en effet troublante), Raymond Hains dans la peau d’Albert Michel, acteur de second plan qui infusa néanmoins la mémoire cinéphile et télévisuelle des années 1950 et 1960.
Dans cette salle, glissée comme une énième peau de banane, on entend Bertrand Lavier imitant Pierre Restany, le grand critique d’art des années 1960, racontant d’interminables dîners avec le très disert Raymond Hains.
Avant cela, vous serez peut-être passé sans faire attention devant la grande stèle en marbre suspendue dans l’escalier d’honneur. Après cette gymnastique de l’esprit que nécessite, sans prise de tête, l’exposition Lavier/Hains, vous prêterez sans doute davantage attention à ce monument aux morts pas comme les autres, où s’alignent en lettres “rose coquin” les 75 titres gratinés des aventures de San-Antonio.
Un mausolée que Bertrand Lavier réalisa en 2003 pour la ville de naissance de Frédéric Dard, Bourgoin-Jallieu (Isère). Parmi ces trésors nationaux : Faites chauffer la colle, Turlute gratos les jours fériés, Grimpe-la en danseuse et encore un Ceci est bien une pipe, qui rappelle la formule magique d’un autre facétieux de l’histoire de l’art : René Magritte.
Merci Raymond par Bertrand Lavier jusqu’au 17 juillet à la Monnaie de Paris, monnaiedeparis.fr
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