La toute nouvelle directrice du Centre national de la danse de Pantin veut en faire un « lieu augmenté », pour favoriser le dialogue avec les autres arts.
Après des années à la tête du Centre chorégraphique national de Montpelllier, Mathilde Monnier vient de prendre la direction du Centre national de la danse (CND) à Pantin. Nous l’avons rencontrée pour l’interroger sur les orientations qu’elle souhaitait donner à ce lieu primordial de la chorégraphie en France.
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C’est un projet qui vous tenait à cœur depuis un moment ?
Mathilde Monnier – Oui, j’ai commencé à écrire un projet il y a un an et demi, d’une manière complètement libre, sans forcément coller à la “maison”. Ce n’était pas juste une réflexion personnelle car c’était un grand sujet de discussion dans tout le milieu chorégraphique. On se posait des questions sur ces grandes maisons, pour qui, comment elles s’adressent au public et comment celui-ci repère les activités qui s’y déroulent ?
Au départ, je me disais : quelle est la part visible de cet iceberg ? J’y ai réfléchi en termes de maison et de service public et j’ai commencé à y rêver et à me dire : est-ce que les choses peuvent changer, évoluer ? J’ai aussi pensé à ce qui manquait : au manque de transparence, d’image, au besoin d’identification à ce lieu et aussi à la part de l’international qui est très importante pour moi.
Certes, le CND est connu du milieu français mais, finalement, il n’a pas assez de visibilité à l’international. C’est un fait que j’ai pu observer. Alors que la danse a toujours été internationale dans son histoire, pourquoi, dans le cadre de l’institution qui lui est dévolue, redevient-elle nationale ? Il y a là quelque chose de complètement en porte à faux avec son histoire qui n’est pas possible.
Que s’est-il passé suite à l’envoi de ce projet ?
J’ai rencontré la ministre de la Culture Aurélie Filippetti il y a plusieurs mois pour lui exposer mon projet dans ses grandes lignes : outre les questions de l’international, de la visibilité pour le public et de l’adresse aux professionnels, j’ai parlé de ma volonté de remettre la création au centre et, surtout, de la place des artistes.
Comment peut-on inventer à l’intérieur du CND différents dispositifs pour les artistes de façon qu’ils n’arrivent pas en fin de processus, mais qu’ils soient aussi partie prenante des décisions concernant les projets et les missions ? Qu’ils puissent réfléchir avec nous et que ce lien entre l’extérieur et l’intérieur du CND alimente nos réflexions sur le patrimoine, les amateurs et tous les dispositifs en place. Car aujourd’hui, l’artiste n’est pas prescripteur, il n’est pas à l’origine des projets mais s’y adapte pour rentrer dans des formats.
Lors de notre rencontre, Aurélie Filippetti soulignait elle aussi l’importance de la responsabilité de l’artiste, pas seulement artistique mais aussi en terme de représentation de son milieu. Autre point important que je voudrais développer, ce sont les partenariats et le mécénat. L’idée étant d’arriver à travailler avec d’autres partenaires en dialogue avec les autres arts : la danse comme puissance invitante. Là encore, je ne fais que répéter des axes constitutifs de son histoire : la danse a toujours été émettrice et réceptrice d’idées, d’inventions et de nouveaux liens avec le design, les arts plastiques, la mode… Le CND doit aussi en témoigner, non pas à travers l’accueil d’une danse transdisciplinaire, mais à la manière d’un “lieu augmenté” qui inscrit ce dialogue entre les arts parce que ça le constitue.
Votre nomination a quasiment coïncidé avec plusieurs articles de presse, dont celui de Jean-Marc Adolphe dans la revue Mouvement, remettant en cause la gestion du CND sous la direction de Monique Barbaroux. Avez-vous envie d’en parler ?
Non, parce que ma nomination n’a pas à voir avec des articles de presse. C’est un établissement public et les directeurs ne sont pas choisis après un appel à candidature mais sont nommés par décret du ministre. Et le calendrier était connu, on savait que le mandat de Monique Barbaroux se terminait le 5 décembre 2013. Il n’y avait rien de secret. Par contre, je ne sais même pas si d’autres personnes ont présenté un projet en dehors du mien. Quant à moi, je l’ai conçu à la façon d’un projet d’artiste, comme lorsque j’écris un projet pour une pièce.
C’est d’ailleurs ma position : je me sens comme un curateur aujourd’hui, au sens où ma position d’artiste évolue et où j’ai besoin d’initier des projets sur les artistes et de ne pas être toujours rivée sur mes propres problématiques.
Vous avez dirigé le Centre chorégraphique national de Montpellier pendant vingt ans. Cette expérience nourrit-elle votre projet au CND et est-elle comparable ?
C’est très différent. Le Centre chorégraphique est un observatoire et Montpellier l’a été pendant plusieurs années sur l’évolution du milieu chorégraphique. Pour moi, ça a été une formation. Mais je ne pense pas le CND comme un “CCN ++”, pas du tout… Parce que ce n’est pas le lieu d’une personne, même si je n’ai jamais considéré le CCN de Montpellier comme étant mon lieu, au contraire. Je pensais plus à un espace dans lequel se passent plusieurs choses. Le CND doit garder cet aspect d’espace dévolu à plusieurs activités.
Imaginez-vous un geste inaugural pour votre arrivée à Pantin ?
Oui, je vais faire quelque chose en juin lors de journées où l’on va montrer un futur fonctionnement et où je vais essayer de déployer ce qui sera développé par la suite et l’esprit dans lequel je veux penser ce lieu. Mais il faut savoir que j’ai appris en arrivant début janvier que la programmation était bouclée jusqu’à la fin juin 2015. D’ici là, j’ai peu de fenêtres…
Concernant la programmation, le CND possède une salle de spectacle d’une jauge assez réduite et ne programme que peu de spectacles en partenariat avec d’autres théâtres. Comptez-vous poursuivre dans cette voie ?
Pour l’instant, il y a un partenariat avec le Théâtre national de Chaillot, et un partage de billetterie avec plusieurs théâtres à Paris. Je souhaite développer des liens avec d’autres lieux à Paris et en banlieue qui ne soient pas forcément des théâtres et des lieux de différentes échelles, comme la Ménagerie de Verre, les Laboratoires d’Aubervilliers ou des lieux dans la ville de Pantin. Et, concernant les spectacles présentés au CND, je pense qu’il faut travailler sur de nouveaux formats de présentation en termes de durée, d’espace, d’image et ne pas s’aligner sur ce que font les autres théâtres, y compris pour la temporalité. J’ai envie de recomposer une offre complètement différente au public, à d’autres moments de la journée par exemple.
Quid de vos projets artistiques ? Allez-vous continuer à créer des pièces ?
C’est un projet artistique ! Et concernant mes créations, j’ai des commandes déjà signées qui vont tourner : la reprise de Rose que je vais créer pour le Ballet de Lorraine à Nancy, celle de Surrogate City que j’avais créé à Berlin à la demande de Heiner Goebbels, qui me demande de le recréer pour la fin de son mandat à la Ruhr Triennale. Et aussi les tournées de Gustavia avec Maria La Ribot et l’installation, prochainement à Beaubourg, de Soapera. Mais c’est vrai que l’idée, c’est un peu de mettre en veille mon travail et je ne pense pas faire de créations dans les deux ou trois années à venir. Pas avant en tout cas…
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