Invitée du Festival d’automne avec le captivant Mal-Embriaguez Divina, Marlene Monteiro Freitas tombe le masque.
Deux images de Marlene Monteiro Freitas nous reviennent en mémoire. Et se télescopent. Son interprétation du kid de Minneapolis, Prince, dans (M)imosa puis, plus tard, d’une boxeuse dans Guintche. Impossible alors de détacher le regard de ce corps dégenré au visage multiple.
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Mais qui est Marlene ? Née au Cap-Vert, elle s’est frottée aux principes chorégraphiques à P.A.R.T.S, l’école bruxelloise initiée par Anne Teresa De Keersmaeker, puis à la fondation Calouste-Gulbenkian de Lisbonne. Avant de jouer les feux follets dans divers spectacles et de finir par prendre son envol en 2005 avec le bien nommé Primeira Impressao.
Depuis, on suit chacun de ses pas. Ses créations explosent les cadres de scène à l’image de Bacchantes ou D’Ivoire et de Chair, et Mal-Embriaguez Divina attendu ces jours-ci. Les titres même de ses œuvres semblent dire – ou contredire – beaucoup de l’artiste. Lorsqu’on lui demande comment surgit une pièce, Marlene Monteiro Freitas répond : “Le point de départ, quelle que soit sa nature, déclenche un désir, de la curiosité et finalement un vertige qui est l’aboutissement du processus. Le résultat est 1 % de l’idée initiale – une image, un titre ou autre chose -, et 99 % de recherche et de travail de répétition.” Ainsi, la première image de Mal-Embriaguez Divina “était celle d’une estrade, un peu comme dans un tribunal. Ce n’est que quand le terme Mal (malfaisant, méchant) m’est venu que j’ai su que j’avais un point de départ”.
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Une fantaisie sublime
Il en résulte une fantaisie sublime, un théâtre visuel d’une richesse inouïe. Et comme souvent chez la créatrice, un jeu avec les doubles de chaque interprète souligné par autant de peintures de “guerre”. “Le maquillage ou les grimaces ne sont pas des ‘plus’ ajoutés à la pièce. Ils ont le même statut que la lumière, le son, les mouvements, les costumes. Ils sont donc traités de la même façon, en fonction des spécificités de chaque projet. On y trouve un goût pour les focales qui diminuent, rétrécissent, condensent ou agrandissent, renforcent ou amplifient. Un petit échantillon peut parfois révéler la totalité. On peut aussi avoir besoin d’un corps entièrement exposé ou d’une plaie béante pour atteindre un détail minuscule. Dans tous les cas, les limites du visible sont repoussées, des distorsions peuvent apparaître. La scène n’est-elle pas le lieu de la libre mise en danger des frontières ?”
L’année passée aura été encombrée de faux départs pour Monteiro Freitas. “Les répétitions ont été interrompues par la pandémie et, à leur reprise, une bonne partie de l’équipe n’était plus disponible. On a dû la recomposer, avec des plages de répétition plus courtes pour cette nouvelle équipe. J’ai donc laissé ma place, ce qui est très bien comme ça”, relativise Marlene, qui sera néanmoins de la distribution l’an prochain.
“Même quand je ne suis pas sur scène, je travaille d’une manière très rapprochée avec l’équipe sur les répétitions, à l’adaptation de la pièce à chaque nouvelle salle, à l’ajustement ou à l’invention de certains détails, à l’échauffement. Pendant les performances, avec le reste de l’équipe à la régie de l’autre côté de la scène, nous utilisons notre synchronicité pour maintenir le public enlacé (ou écarté). Travailler depuis cette perspective, c’est-à-dire avec le dos des gens, sans accès aux visages, est extraordinaire.”
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“Performer sur scène est l’expérience la plus transformative que je connaisse”
Et l’artiste de conclure : “Pendant les répétitions de Mal, je me souviens avoir traversé le plateau pour aller dire un mot à l’un des danseurs. Je me suis tout à coup retrouvée entre deux mondes d’intensités différentes. À l’intérieur de la performance, il est impossible de voir la pièce dans sa totalité – comme il nous est impossible de voir la totalité de notre propre corps. On a alors une connaissance profonde de ce qui est en train d’avoir lieu, on le sent. Cela produit des charges d’énergie uniques et incroyables de la part des interprètes. À ce moment-là, je ne savais pas comment traduire la sensation, j’étais profondément émue. Performer sur scène est l’expérience la plus transformative que je connaisse.”
Marlene Monteiro Freitas a créé cet été une mise en scène pour le “mélodrame” d’Arnold Schönberg, Pierrot lunaire. On rêve déjà d’embarquer dans ce voyage musical. Il se murmure qu’un portrait est en préparation pour le Festival d’automne de 2022. Mais ne parlez pas de consécration à Marlene Monteiro Freitas, elle préfère les cérémonies secrètes.
Mal-Embriaguez Divina, conception Marlene Monteiro Freitas. Du 3 au 6 novembre au Centre Pompidou Paris et du 10 au 13 novembre au Nouveau Théâtre de Montreuil, dans le cadre du Festival d’automne.
Propos recueillis par Philippe Noisette, traduction Catherine Facerias.
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