L’Autrichien Markus Schinwald réinvente sa troublante entreprise de restauration de l’art bourgeois à la galerie Thaddaeus Ropac à Paris, au milieu de mécanismes aussi grinçants que son œuvre picturale.
Ce qui frappe d’abord, c’est le bruit. Le grincement daté, lointain – pour nous spectateurs du XXIe siècle, plus habitués à l’ergonomie lisse des outils numériques et à l’aphasie de l’immatériel – de modules en bois ou en laiton remontés comme des coucous et qui, à force de frottements et de caresses forcées, donnent de la voix et font entendre leur complainte. Ces pieds de chaise ou pieds de biche, ces pistons dorés, anthropomorphiques, courbes ou phalliques, sont animés à intervalles réguliers par des mécanismes horlogers.
Présentés sous des arches qui sont aussi comme des cadres ou des tableaux, ces ballets mécaniques qui rappellent les machines infernales du Locus Solus de Raymond Roussel cultivent la même sensualité trouble que les peintures retouchées de Markus Schinwald.
Masques, prothèses et appendices
Soit des toiles chinées, pour la plupart héritées de la première moitié du XIXe siècle, portraits bourgeois et mélancoliques que l’artiste vient augmenter depuis des années de toutes sortes de masques, prothèses et appendices. Plusieurs exemple sont ici exposés.
Et comme dans la chorégraphie d’objets qu’il présente au centre de la galerie, il s’agit de faire grincer des dents autant que d’adoucir, dans ce dosage qui lui appartient d’âpreté clinique, de froideur médicale mais aussi de fétichisme et d’érotisme.
“Un travail analogue au restaurateur de peintures”
Restaurer, réparer, réanimer, dans tous les sens du terme, voilà ce que propose l’artiste autrichien, qui offre un second souffle à ces portraits classiques autant qu’à ces éléments épars, désolidarisés, dont on imagine qu’ils ont pu un temps servir de béquille ou de point d’équilibre à un meuble ou une machine.
“En peignant sur la surface de la toile différents accessoires anatomiques, des masques, des morceaux de tissu, qui viennent la recouvrir en partie, Schinwald accomplit un travail analogue au restaurateur de peintures mais adopte aussi un procédé proche du psychologue, analyste des âmes, semblant vouloir réparer, au-delà de l’accident supposé du tableau, une blessure plus profonde du modèle”, écrit à ce propos Dominique de Font-Réaulx dans le catalogue.
La peinture tout entière est désormais son cobaye
Mais il s’agit aussi bien de rééduquer le regard du spectateur, car ce faisant Schinwald nous amène à mieux voir, ou à regarder à nouveau ces peintures et fragments tombés dans l’oubli. Dans la toute dernière série de tableaux, Schinwald muscle notre gymnastique du regard en nous orientant vers des sujets isolés, relégués dans un coin du tableau ou suspendus au milieu de la toile dans une apesanteur vaporeuse.
Les personnages deviennent des points de fuite, fussent-ils minuscules, et révèlent le vide qui les entoure, l’absence de décorum qui fait coïncider dans le même tableau le portrait et le monochrome, la peinture figurative et abstraite, la peinture classique et contemporaine.
Avec ce nouveau travail, c’est la peinture tout entière, comme genre, qui est désormais son cobaye ; le spectateur aussi, face à ces images à tiroirs qui nous regardent et nous interpellent.
Markus Schinwald jusqu’au 9 avril à la galerie Thaddaeus Ropac, Paris IIIe, ropac.net