Le metteur en scène Mariano Pensotti construit un univers foisonnant entre cinéma et théâtre, imaginaire et réel. Avec en toile de fond, toute l’histoire de l’Argentine.
Quand nous rencontrons Mariano Pensotti avant la représentation de Cineastas au Nouveau Théâtre de Montreuil, il est à deux pas, au cinéma Le Méliès, et participe à une table ronde autour de la création artistique en Argentine suite à la projection du Ciel du centaure, le nouveau film du cinéaste septuagénaire Hugo Santiago.
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Une entrée en matière des plus logique concernant ce metteur en scène qui a suivi des formations en cinéma, théâtre et arts visuels, a débuté par la production de films documentaires pour finir par bifurquer vers le théâtre. Sans pour autant abandonner le cinéma, comme source d’inspiration autant que pour son langage, sa technique et, surtout, comme influence majeure.
Identité réelle et imaginaire
“J’avais une approche assez punk, dans le genre ‘do it yourself’, à l’issue de toutes ces formations inachevées, relève en souriant Mariano Pensotti. Quand j’ai commencé à faire du cinéma, j’ai été déçu par l’aspect conventionnel de la production et même si je voulais réaliser des films de fiction, j’ai d’abord produit des documentaires.”
« Nous sommes construits par la fiction »
“Ensuite, j’ai réalisé que ce qui me plaisait dans le théâtre, c’était de réunir quelques amis et de pouvoir immédiatement essayer quelque chose ensemble. Mais il est clair que tout ce background cinématographique reste présent dans mon théâtre, même si je ne fais pas de théâtre documentaire.”
L’obsession majeure de Pensotti, c’est la relation, voire l’interpénétration, entre fiction et réalité. Comment l’identité se construit en référence aux fictions que l’on absorbe, littérature ou cinéma, et comment elles déterminent et modifient, dessinent notre rapport au réel. “Je suis fasciné par la façon dont nous sommes construits par la fiction. Comment toutes nos réactions et nos expériences se basent sur les livres ou les films que nous avons absorbés au cours de notre vie. Ce qui m’intéresse, c’est cette relation complexe de l’être humain avec la fiction. Est-ce qu’on la crée en permanence ou est-ce elle qui nous fabrique ?”
Issu du théâtre de rue
Rien d’étonnant alors si son théâtre suit deux lignes surfant entre réel et fiction : les interventions urbaines en espace public et les représentations dans des théâtres. Avec son groupe, La Marea, créé il y a dix ans avec la scénographe Mariana Tirantte et le musicien Diego Vainer, et un noyau d’acteurs qui le suit.
Mariano Pensotti garde le souvenir de leur première intervention dans la rue, en 2005, La Marea, qui a donné son nom au groupe. “Le spectacle se déroulait dans neuf lieux et mettait en scène des situations différentes qui auraient pu se dérouler ‘naturellement’.”
“Mais on ajoutait un système de surtitres qui racontaient l’histoire des personnages. C’était comme si l’on posait des légendes au-dessus de la réalité. Pour la première fois, j’opérais une dissociation entre la représentation et la narration et je me suis demandé si je pouvais garder ce principe sur un plateau de théâtre.”
Techniques cinématographiques au service des planches
Non seulement il l’a fait, mais il l’a rendu d’autant plus percutant qu’il insuffle dans son théâtre un langage issu du cinéma et de ses techniques narratives. La voix off et le split screen dans Cineastas, des projections de textes qui commentent les scènes qui se déroulent sur un tapis roulant dans Cuando vuelva a casa voy a ser otro.
“Au fil du temps, nous devenons un double nous-mêmes”
Le point de départ du spectacle est issu d’un fait réel : l’histoire de son père, militant politique à l’époque de la dictature argentine, qui avait enfoui dans son jardin des objets compromettants. “Dans un précédent spectacle, El pasado es un animal grotesco, on observait comment on transforme notre passé chaque fois qu’on le raconte. Dans Cineastas, on s’interroge sur la façon dont nous sommes construits par la fiction. Dans Cuando…, il s’agit de voir comment nous devenons un double de nous-mêmes au fil du temps.”
“L’histoire de mon père fait partie du roman familial. J’avais 3 ans quand la dictature a commencé et 12 lorsqu’elle s’est terminée. J’ai toujours entendu mon père raconter l’histoire de ces objets mythiques enterrés, mais à chaque récit, des détails changeaient. Il ne les a retrouvés que quarante ans plus tard et c’était comme si une capsule temporelle lui revenait et lui montrait celui qu’il avait été et qui n’avait plus rien à voir avec celui qu’il est devenu.”
L’influence de la Nouvelle Vague
De cette observation découle l’histoire de Cuando… qui pousse à bout le thème du double en imaginant un personnage qui usurpe l’identité d’un autre, metteur en scène – autrement dit, alter ego de Mariano Pensotti –, et lui vole son succès, sa reconnaissance et la perception qu’il a de lui-même.
Avant de le quitter, une question nous taraude : quels sont les films qui l’ont façonné ? “Toute la Nouvelle Vague. Godard, Resnais, Rohmer, Truffaut. J’ai vu tous leurs films et ils m’ont tellement impressionné.” De fait, comment ne pas reconnaître son théâtre dans cette citation de Godard : “J’ai commencé par la fiction et ai découvert le réel, mais derrière le réel est aussi la fiction.” CQFD.
Cuando vuelva a casa voy a ser un otro texte et mise en scène Mariano Pensotti, du 17 au 20 février au Théâtre Nanterre-Amandiers, nanterre-amandiers.com ; les 25 et 26 février à la Filature de Mulhouse
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