“Plus qu’aucun autre univers des hommes, la Méditerranée ne cesse de se raconter elle-même, de se revivre elle-même. Par plaisir sans doute, non moins par nécessité. Avoir été, c’est une condition pour être.” Dans son livre clé, La Méditerranée, l’historien Fernand Braudel insistait sur la dimension centrale du récit que l’espace méditerranéen convoque dès lors qu’on tente d’en saisir l’épaisseur et de sonder ses profondeurs.
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Le projet mené à quatre mains sur son héritage métissé par Maria Thereza Alves et Jimmie Durham, The Middle Earth, consolide cette démarche, en lui conférant une étrangeté poétique, liée à une recherche artistique à la fois conceptuelle et archéologique.
Brouiller les évidences
Dans les salles de l’Institut d’art contemporain (IAC), l’artiste brésilienne, née en 1961, et l’artiste américain, né en 1940, tous deux très engagés depuis des années dans des causes politiques fortes (pour les droits des minorités et l’écologie, en particulier), dispersent des objets à foison au gré d’environnements successifs – la teinture, la mer, le verre, le silex, les plantes, le fer…
Indexée aux objets et aux traces qui caractérisent son épopée millénaire, cette traversée à la fois erratique, théâtrale et objectale dévoile les mystères de cette “Terre du Milieu”, tout en jouant à en brouiller les évidences. Car ces vestiges, souvent prélevés dans des collections publiques (musée des Beaux-Arts de Lyon, musée d’Archéologie méditerranéenne de Marseille) se mêlent aux propres pièces des artistes, dans un méli-mélo prêtant parfois à la confusion, à la mesure de la grande énigme du mythe méditerranéen.
Ce sont moins les outils et bibelots eux-mêmes – colliers de perles, coquillages, figurines, statuettes, pierres précieuses, lots de silex, verreries… – ou même les mosaïques réalisées par les artistes, qui attirent le regard que les agencements dont ils font l’objet. Entre artefacts et écofacts, une “cosmogonie transhistorique et transculturelle” se dessine selon l’artiste Sandra Lorenzi, chargée de recherche pour ce projet.
Une Terre du Milieu incarnée
Au cœur de cette cosmogonie mentale dont l’espace physique, livré à des variations de couleurs et de sonorités de salle en salle, un paysage se dévoile, oscillant entre les vestiges rêvés d’un passé millénaire et le vertige d’un présent chaotique, aujourd’hui incarné par le sort des réfugiés sur des plages désolées, comme en témoigne la plus belle salle consacrée à la mer, dans laquelle des déchets disséminés recouvrent le sol.
A la raideur et à la sécheresse de certaines salles, abandonnées à la contemplation neutre de vestiges arides, vient s’opposer cette soudaine représentation d’un présent désordonné. Outre cette vision d’un présent saisissant, traduit dans la forme désolée d’une déchetterie à ciel ouvert, c’est dans les angles morts et les bas-côtés de chaque salle, remplis d’indices (une photo de la reine d’Angleterre dans la salle pourpre, des noms de fleurs écrits sur les murs, Chèvrefeuille d’Etrurie, Cyclamen de Naples, Glaïeul d’Illyrie…), que cette “Terre du Milieu” s’incarne, d’une manière secrètement plus fantaisiste que les signes archéologiques apparents ne le laissent supposer au premier regard. Jean-Marie Durand
The Middle Earth – Projet méditerranéen De Maria Thereza Alves & Jimmie Durham Jusqu’au 27 mai, Institut d’art contemporain, Villeurbanne (69)
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