A Grenoble, la directrice du centre d’art le Magasin, Béatrice Josse, invente de nouvelles modalités d’exposition de l’art contemporain.
Chacun devrait avoir chez soi un calendrier comme celui qui accueille le visiteur au Magasin, à Grenoble, et réalisé par l’artiste Mathieu Saladin. A chaque jour de l’année, il associe, non pas un saint ou une fête nationale, mais une révolte historique et donne de suite le ton de l’expo « Je marche donc nous sommes », habitée, jusque dans sa forme, par un souffle contestataire.
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A travers l’histoire de l’art, la marche est l’un des gestes de transgression par excellence. Affiliée aux mouvements de contre-culture, elle permet de franchir le périmètre autorisé et asphyxiant du monde de l’art et de ces espaces de monstration. Quand Trisha Brown fait marcher un performer sur la façade d’un immeuble à la verticale en 1974 ou quand la religieuse délurée Corita Kent organise des fêtes créatives et pop en l’honneur de la Vierge Marie en 1965 (des vidéos sont projetées dans l’expo), chacune défie à la fois l’institution muséale en s’emparant de la rue, et le marché de l’art, réfractaire à la performance car raffolant d’objets.
Sortir l’art de lui-même
C’est ce geste de marche – entendue comme action immatérielle perturbant nos sociétés sédentaires et matérialistes – que la commissaire Béatrice Josse a pris comme point de départ de son projet d’ « Académie de la marche ». Nommée en 2016 directrice du Magasin, rebaptisé depuis « Magasin des horizons », l’ancienne directrice du FRAC Lorraine entend bien poursuivre cette ouverture l’art vers l’extérieur, physiquement (dans la rue, chez les gens…) et conceptuellement (qu’il soit immatériel et en le faisant rencontrer les sciences sociales, humaines…).
L’idée centrale qui sous-tend la programmation artistique liée ici à la marche est de considérer qu’un musée ou centre d’art ne devrait pas tant s’apparenter à un refuge, à un lieu de réflexion ou d’émotion, mais surtout à un initiateur de relations nouvelles entre son territoire, ses habitants, ses organisations… En bref, qu’il ne soit plus cadenassé à un lieu mais qu’il soit mobile se déplaçant dans la montagne (où sont organisées des marches, des conférences…), dans les cinémas (pour des projections), dans la rue…Être implanter dans une ville comme Grenoble est à cet effet idéal pour imaginer un centre d’art de ce type, la ville étant historiquement ancrée à gauche, militante et regorgeant d’associations.
Il y a ainsi dans l’expo « Je marche donc nous sommes » une dizaine d’oeuvres seulement et l’expérience se finit en queue de poisson : on reste planté là au milieu de ces oeuvres pas chères à exposer (des vidéos), précaires (bois et tissu majoritairement), un peu perdu dans cet immense hangar. Parce que justement l’art ne se joue pas ici, dans cette expo. Il est ailleurs.
Transcender le cadre de l’exposition
« L’Académie de la marche » est un projet global qui transcende le cadre de l’exposition, devenant le simple volet d’une programmation de 7 mois se déclinant en performances, conférences, workshops, marches ou projets d’artistes hors les murs. On note entre autres une table ronde avec le politologue Pierre Favre, une rando-queer, une performance d’écriture de Jean-Christophe Norman, une récolte d’objets dans Grenoble par l’artiste Marc Godinho etc…
Impossible de tout voir et de saisir l’ampleur de cette « Académie de la marche ». Elle se vit à long terme. On l’éprouve avec son corps, on en est l’acteur. Car si la marche intéresse cette commissaire pétillante et radicale, c’est bien parce qu’elle appelle l’action. Bien que parfois noyée dans l’océan flou d’idées abstraites, elle trouve un ancrage au sol, avec son territoire, s’organise puis s’élève. Elle rompt avec ce qui est « hors sol », flottant, irréaliste et renoue avec le terrestre, le local et le concret.
Académie de la Marche – « Je marche donc nous sommes » au MAGASIN des horizons, Grenoble. Jusqu’au 14 octobre 2018.
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