Le photographe français Marc Riboud est mort ce 30 août à l’âge de 93 ans des suites d’une longue maladie. Il avait parcouru le monde pour la prestigieuse agence Magnum. Ses reportages sur de longues périodes en Inde, en Chine et au Japon lui ont valu une grande renommée. Nous republions ici l’entretien qu’il nous avait accordé en mai 1996.
Une bonne photo publiée dans Life en 1953 lui vaut d’intégrer l’agence Magnum en 1954. A 30 ans, Marc Riboud, qui vient d’abandonner une carrière d’ingénieur, se met alors à parcourir le monde en commençant par l’Inde. Visité avec la curiosité du promeneur ou l’obstination du reporter, l’Extrême-Orient occupe une place essentielle dans sa carrière : quarante ans de détours photographiques par la Chine.
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Marc Riboud s’est éteint ce mardi 30 août à 93 ans des suites d’une longue maladie. A cette occasion, nous republions l’entretien qu’il nous avait accordé en 1996, alors qu’une exposition et un livre (Marc Riboud, Photo-Poche n° 37 édité par le CNP) revenaient sur sa carrière.
Mineurs, 1957, Chine, par Marc Riboud #parisphoto #marcriboud #photojournalisme #China @ucbsoj pic.twitter.com/shMjBtenUi
— Philippe Kantor (@Kantor75) August 31, 2016
J’ai d’abord été attiré par l’Inde. Un premier voyage en 1955, Paris-Calcutta par la route, m’a mené dans ce pays où j’ai passé une année. De là, en 56, je suis allé en Chine pour la première fois. Après l’Inde, où on voyait des hommes courbés sous la pauvreté, on sentait tout de suite en Chine des hommes qui voulaient se relever et regagner leur dignité. A nos yeux, c’était le plus important. On connaît maintenant le prix payé par les Chinois eux-mêmes à l’époque où nous pensions qu’ils symbolisaient certains de nos idéaux de gauche. Nous voulions si fort que leurs réponses à nos questions soient les bonnes que nous ne nous souciions pas de savoir si elles l’étaient pour eux. On savait qu’il se passait quelque chose de passionnant, on savait le pays fermé depuis longtemps, tout cela était suffisant pour déclencher la curiosité et l’envie de forcer la porte. Il y avait aussi une fascination visuelle pour l’une des plus anciennes civilisations du monde où tout se mettait à bouger.
Comparer la Chine des années 50 avec le pays tel qu’il est aujourd’hui revient à peu près à comparer la Papouasie avec Paris. Il n’était pas question alors d’entrer chez les gens, il fallait un interprète officiel et on vous conduisait dans une famille, ou bien une école, où tout avait été arrangé. Chez les paysans, on entrait toujours avec un « ange gardien ». Cet accompagnateur ne prononçait pas vraiment d’interdit, il me guidait doucement en me disant « Il est maintenant temps de rentrer. » Il m’est aussi souvent arrivé de flâner à Pékin ou de me promener seul des journées entières dans la campagne. Aujourd’hui, on peut entrer comme on veut partout ou presque.
Les trois marmots, Chine, 1957, par Marc Riboud #ChinaTravel pic.twitter.com/o9SAfGuE24
— Philippe Kantor (@Kantor75) August 31, 2016
Mes amis en Chine sont surtout des photographes avec lesquels j’ai tissé des liens au cours de mes différents voyages. Je partage avec certains d’entre eux une relation privilégiée, une complicité. Les Chinois ont une curiosité extraordinaire et beaucoup d’humour. Ils sont très impatients de connaître la photographie occidentale. Cela me rappelle les pays de l’Est où, malgré des contacts extrêmement difficiles, les photographes parvenaient à très bien connaître le travail fait à l’Ouest. Les Chinois sont arrivés très rapidement à distinguer, à comparer les images de Cartier-Bresson, de Salgado, de Koudelka, à choisir leurs influences et surtout à apprécier l’approche particulière et actuelle de la photographie documentaire. Cela a été pour eux une révélation. Moins pour le style que pour la manière de montrer la vie telle qu’elle est et non telle qu’elle devrait être. C’est très différent de ce qui leur avait été imposé pendant des dizaines d’années : la photographie de propagande. Depuis l’ouverture, il y a quinze ans, le cinéma chinois - notamment avec Zhang Yimou et Chen Kaige - a montré des possibilités d’indépendance que les photographes essaient d’atteindre. Ils savent que leur reconnaissance par l’Ouest dépend de la fermeté de cette attitude.
Ce n’est pas tant la censure que l’autocensure qui pose un problème aux photographes en Chine aujourd’hui. Ils ressentent une certaine pression lorsqu’ils veulent rester à l’Union des photographes - celle-ci donne certains avantages : obtentions de films, facilités pour les visas de sortie, les voyages. Tout cela est conditionné par le bon vouloir de l’autorité. Ça change petit à petit, non par un assouplissement de cette autorité mais par la pression de l’argent qui est devenu en Chine l’étalon de toutes les activités humaines.
On ne parle plus de Tian An-men en Chine alors que plusieurs millions de Pékinois avaient défilé pour soutenir les étudiants. Mais sait-on jamais ce que pense un Chinois, même un ami ? Les Chinois semblent aujourd’hui trop préoccupés par la formidable vague du gain, du mieux-vivre, désormais possible. Tout le monde a l’air de profiter, à des degrés très divers, de cette amélioration matérielle même les paysans, depuis qu’ils savent qu’ils tirent bénéfice de leur propre travail. On n’entend parler ni des dirigeants ni de politique.
Hommage à Marc Riboud. Pékin, Chine, 1957.
La rencontre du photographe avec Mao Zedong “J… https://t.co/S9As8cm1M2 pic.twitter.com/OJeP34l1vP— Polka Galerie (@polkagalerie) August 31, 2016
On peut penser, au fond, que Mao n’a été qu’une parenthèse. La nouvelle religion de l’économie de marché socialiste - un peu comme si le pape énonçait le nouveau dogme d’un christianisme athée - est arrivée comme un choc libératoire. La fameuse énergie industrieuse des Chinois s’est soudainement libérée. Le nouveau modèle est devenu alors l’Amérique, qu’ils semblent vouloir dépasser dans le capitalisme sauvage. Tout cela, les Chinois l’avaient dans leurs veines. La Chine est une immense fourmilière, chacun a son rôle, chacun est à sa place. Pour le comprendre, il faut avoir marché une fois dans une foule chinoise : elle a beau être extrêmement dense, il n’y a pas de bousculade.
Des Chinois qui ont tout fait pour nous ressembler : voilà ce que je vois maintenant. Ce n’est plus la Chine mais Dallas ou Chicago. Les Chinois sont en train d’oublier leur identité, leur culture. Faudrait-il maintenant, pour comprendre la Chine, rester chez soi et lire Etiemble, Claude Roy, ceux qui ont parlé de ses réflexes fondamentaux ?
Propos recueillis par Hervé Le Goff dans Les Inrockuptibles, du 29 mai au 4 juin 1996, n°59
Des photographies de Marc Riboud prises en 1963 à Cuba sont actuellement exposées dans le cadre du festival Visa pour l’image à Perpignan.
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