Pour dénoncer le retour de l’antisémitisme et les faux-semblants du libre-échange, Jacques Vincey transforme la pièce de Shakespeare en une farce cruelle.
On aurait tort de réduire un carnaval à un défilé de masques. C’est aussi, et depuis toujours, une parenthèse temporelle lors de laquelle on peut jouir sans crainte d’une véritable liberté d’expression pour peu qu’il s’agisse de faire rire. Situant l’action du Marchand de Venise au cours de cette période festive, Shakespeare s’amuse d’une intrigue abracadabrantesque pour énoncer quelques vérités qui continuent de défrayer la chronique.
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Adaptant la pièce pour l’accorder à notre début du XXIe siècle, Jacques Vincey rend hommage à la lucidité du dramaturge anglais pour dénoncer, version farce, l’obscène revival des discours racistes et un monde où l’ambition politique se résume sans complexe à traiter l’humain comme une marchandise.
Pour débarrasser son terrain de jeu de la tentation du politiquement correct, le metteur en scène commence par rendre hommage à l’art de l’improvisation des bouffons shakespeariens. Nous voici pris en otages dans une supérette par un acteur déguisé en commis d’épicerie (Pierre-François Doireau) qui prétend arrondir ses fins de mois en faisant la manche parmi le public avant de décréter que le spectacle peut enfin commencer.
Un problème de poitrine
Après ce prologue qui met les nerfs à vif, on ne s’étonne pas de voir notre commis d’opérette faire du rangement dans une vitrine réfrigérante où s’entasse un stock de pièces de viande de 500 grammes. Chacun le sait, l’intrigue du Marchand de Venise tient au fait qu’un usurier juif nommé Shylock (Jacques Vincey) accepte de prêter 3 000 ducats à un citoyen de Venise en proposant pour seule garantie d’avoir autorité pour prélever de la poitrine de son débiteur une livre de chair en cas de non-remboursement.
On connaît la suite, ne recevant pas son dû en temps et en heure, Shylock exige sa livre de chair en oubliant qu’il est interdit de faire couler le sang d’un citoyen de la cité des Doges. Condamné pour incitation à un crime et dépossédé de ses biens, Shylock vient de prouver à ses dépens que la loi n’est pas la même pour tous dans la très chrétienne Sérénissime.
Le metteur en scène allemand Peter Zadec avait trouvé la formule idéale pour résumer les enjeux de la pièce d’une phrase :“Une blague juive racontée à des goys.” Même en temps de carnaval, être juif à Venise n’autorise pas à toutes les plaisanteries, Shylock paie cruellement le fait d’avoir voulu pousser trop loin le bouchon de la galéjade. La morale de l’histoire donne raison à cet autre spécialiste de l’humour qu’était Pierre Desproges : “On peut rire de tout, mais pas avec n’importe qui.” Patrick Sourd
Le Marchand de Venise (Business in Venice) de William Shakespeare, texte français et adaptation Vanasay Khamphommala, mise en scène Jacques Vincey, du 11 au 20 octobre, Théâtre 71, Scène nationale de Malakoff. Tournée jusqu’en décembre
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