Krzysztof Warlikowski et Paul Daniel reconnectent les héros de l’opéra de Verdi à leur passé. Et transcendent le mythe.
En ouverture de Macbeth, l’opéra de Giuseppe Verdi qu’il met en scène au Théâtre de la Monnaie à Bruxelles, Krzysztof Warlikowski témoigne de la violence éternelle des champs de bataille, via la lecture en voix off d’une lettre envoyée à sa femme par un officier américain durant la guerre du Vietnam.
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Le récit d’une opération où deux hommes sont atrocement blessés par une mine. Plus tard et dans une même continuité de ton, la voix off donne lecture de la lettre de Macbeth annonçant à sa femme son retour de la guerre dans la pièce de Shakespeare.
Ni l’une ni l’autre de ces lettres ne figurent dans l’opéra de Verdi, mais pour s’affranchir des lieux communs qui collent à la peau de Macbeth et de Lady Macbeth, Warlikowski et son dramaturge Christian Longchamp ont voulu revenir à l’origine des traumas qui font d’eux des monstres, retenant l’évocation chez Shakespeare d’un enfant perdu par le couple, des années de guerre et de séparation qui s’ensuivirent, du retour au foyer de Macbeth, héros victorieux qui s’avère bientôt être un soldat brisé ne trouvant plus le repos…
C’est sur la réunion de ces souffrances – celle d’une mère ayant perdu son bébé et celle d’un père victime de ce qu’on nomme chez les vétérans d’aujourd’hui le “post-traumatic stress disorder” – que Warlikowski a construit sa mise en scène.
Que faire alors des embardées épiques de la musique de Verdi, mais aussi de ces comptines que l’on pourrait jouer à deux doigts et de ces choeurs étrangement aériens qui président aux messages des sorcières ? Dans un accord parfait avec ce qui se joue sur le plateau, le chef Paul Daniel exalte chaque dimension de la partition pour dire l’incroyable désordre psychique du couple diabolique.
Alors, quand Warlikowski imagine des enfants fantomatiques pour incarner les sorcières, Daniel installe le choeur qui leur prête voix au dernier balcon, ce “paradis” du théâtre qui, dans un effet acoustique sidérant, transforme en chant des anges les imprécations des succubes.
Oubliant les poncifs des combats à l’épée et de la forêt qui avance, les soldats en battledress de Warlikowski semblent d’abord se battre, version Apocalypse Now, contre des démons enfermés dans leur tête, une folie que musique et chant expriment jusqu’à l’incandescence, tout comme cette rage du désespoir qui transfigure Lady Macbeth. Dans le dédoublement de leur silhouette en vidéo live, Scott Hendricks (Macbeth), Iano Tamar (Lady Macbeth) et Andrew Richards (Macduff), tous exceptionnels, sont alors les personnages d’un opéra mental hallucinant sur lequel Warlikowski surimprime d’autres images, celles de La Nuit du chasseur de Charles Laughton, de Théorème de Pier Paolo Pasolini et des Amants de la nuit de Nicholas Ray, comme autant de portes ouvertes sur l’inconnu.
Macbeth de Giuseppe Verdi, mise en scène Krzysztof Warlikowski, au Théâtre de la Monnaie, Bruxelles.
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