Engagée dans les causes antiraciste et féministe, la lauréate du Turner Prize 2017 reste encore méconnue en France. Session de rattrapage en cours au Musée régional d’art contemporain Occitanie/Pyrénées Méditerranée
Pour tout artiste, remporter le Turner Prize est d’ordinaire une consécration. Lorsque Lubaina Himid s’en voit distinguée, il serait plus juste de parler de réparation. A 63 ans, le monde entier ou presque la découvre. Non pas qu’elle ait émergé tardivement ou se soit enfermée dans la tour d’ivoire de l’artiste romantique. Bien au contraire, son art traite précisément de l’invisibilité qui lui a été imposée.
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Née à Zanzibar, en Tanzanie, d’une mère anglaise et d’un père comorien, Lubaina Himid grandit à Londres et découvre l’art par l’absence. Celle, flagrante, de personnages noirs auxquels s’identifier lorsqu’elle parcourt, enfant, les couloirs de la National Gallery.
Une réécriture de l‘histoire de l‘art
A partir du milieu des années 1980, elle est l’une des premières à s’impliquer auprès du Black Arts Movement, dont elle défend la cause antiraciste et féministe avec fougue – sans jamais cependant se départir de l’humour et de la fantaisie qui infusent toute son œuvre.
Au Musée régional d’art contemporain Occitanie/Pyrénées-Méditerranée (Mrac) à Sérignan, qui lui consacre sa première exposition en France, c’est d’ailleurs l’œuvre la plus ancienne qui capte immédiatement le regard. “A l’époque, en 1984, Lubaina Himid n’a pas d’atelier et peint dans sa cuisine”, raconte Sandra Patron, directrice du musée et commissaire de Gifts to Kings, qui la découvre au printemps dernier lors de son exposition à Spike Island (Bristol). “Cette grande peinture sur tissu est emblématique de sa démarche. A savoir une réécriture de l’histoire de l’art, où les Deux femmes courant sur la plage que peint Picasso en 1922 prennent ici les traits de deux femmes noires.”
Consciente d’introduire en France une artiste encore méconnue, la commissaire a réuni une sélection d’œuvres glanées tout au long de trois décennies de production. La joyeuse farandole qui occupe le centre de l’espace semble étrangement familière. Et pour cause, la série Naming the Money est celle que l’on a vue reproduite partout dans la presse lors de sa victoire du Turner Prize.
Composée de cent silhouettes au total, c’est aussi le point névralgique de son corpus. Déclinés en contreplaqué peint, ces musiciens, danseurs et artisans partagent tous une commune condition : ce sont des esclaves dont l’identité individuelle a été gommée au profit d’une unique tâche, celle de distraire leur maître.
Tout le travail de l’artiste va alors être celui de leur redonner une singularité, c’est-à-dire un visage, un nom et des habiletés différentes. Nées au plus sombres des années Thatcher, les œuvres de Lubaina Himid entament désormais un dialogue avec la génération en train de s’éveiller à l’activisme dans le sillage de #BlackLivesMatter et de #MeToo. Ingrid Luquet-Gad
Gifts to Kings Jusqu’au 16 septembre, Musée régional d’art contemporain Occitanie/Pyrénées Méditerranée, Sérignan
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