En retravaillant au sein de leurs sculptures les vestiges matériels du capitalisme tardif et un végétal postnucléaire, Julie Villard & Simon Brossard mettent à nu les imaginaires de notre époque.
Enserrant un ventre mou, des filaments anguleux se tordent sur eux-mêmes. Une tête-fleur de consistance spongieuse les chapeaute. D’un vert brunâtre, l’arabesque végétale luit d’un éclat métallique : couleur carrosserie de voiture ou ventre de scarabée. Ce végétal post-nucléaire (Love the Human Smell, 2018), on l’apercevait déjà lors de MENU, l’exposition solo de Julie Villard & Simon Brossard à la galerie Exo Exo à Paris. Les deux jeunes artistes, qui travaillent ensemble depuis leur rencontre aux Beaux-Arts de Cergy en 2016, hérissaient alors l’espace d’une ribambelle de ces structures arc-boutées et contorsionnées.
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Fleurs écorchées
Rappelant le traitement formel de l’Art nouveau ou du gothique flamboyant, la taille humaine de ces structures inscrit d’emblée leur présence, lorsqu’on s’y confronte dans l’espace physique, dans un présent. Nous avons les yeux et l’appareil perceptif de notre époque ; les images de la forêt amazonienne en feu et de désertification des terres déjà gravées sur la cornée. Voilà, se dit-on alors, les fleurs écorchées du capitalocène, les germes rachitiques d’une terre contaminée.
Effacement de l’humain
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et d’Hiroshima, Alberto Giacometti réalise le premier de ses marcheurs émaciés. Désormais, la figure humaine elle-même s’est effacée, nous laissant en compagnie de ces tiges tout aussi rachitiques. A la galerie Rabouan Moussion, le duo a réuni un ensemble d’œuvres récentes. La série végétale y figure, aux côtés de plusieurs pièces d’une autre série d’un tout autre registre formel.
Là, tout est rond, lisse, luisant et nacré. A taille humaine toujours, des plugs articulés les relient au mur ou au sol, tout comme ils viennent également renforcer certaines parties de la structure elle-même.
Prothèses de pointe
Composé d’une enfilade de sphères articulées d’où court parfois un tuyau plissé comme une queue de souris apathique, l’ensemble possède la complexité des êtres vivants, ou alors du design de pointe qui s’en inspire. Organes nomades sur-appareillés de prothèses rappelant à la fois le matériel médical et les sex-toys, ces œuvres (les Convulsing Shell, 2019) connotent alors, à l’exact opposé des premières, la vision d’un capitalisme triomphant où les utopies transhumanistes se seraient réalisées.
Vestiges matériels
Deux faces d’une même réalité, les deux pôles sont complémentaires. Le système de production des deux artistes l’explicite. Il ne s’agit pas de ready-mades ou d’assemblages, ni d’un geste de sculpture inspiré qui ferait sortir l’idée du bloc, mais de structures produites à partir d’éléments manufacturés en série par l’industrie (de masse, de luxe, de pointe).
Celles-ci sont moulées, dupliquées, assemblées, de manière à venir activer les représentations latentes et les scénarios potentiels des vestiges matériels qui composent notre écosystème et colorent notre présent. Les formes de vie se développent selon le moule et l’armature, fournie par le système industriel et post-industriel du capitalisme tardif, qui façonne déjà les corps et les imaginaires avant même que la fiction ou la science-fiction ne viennent s’en mêler.
Love Human Smell jusqu’au 21 septembre, galerie Rabouan Moussion, Paris
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