Architecte de formation et cinéphile, le dessinateur Jacques de Loustal aime les ambiances noires et dessiner les voitures. Alors que sortent un nouvel album et une réédition, rencontre avec un dessinateur qui soigne le détail et son casting.
Vous avez d’abord été architecte. Comment avez-vous basculé dessinateur ?
Jacques de Loustal – J’étais architecte parce que c’était un métier dans lequel le dessin avait une certaine importance. C’était mieux qu’ingénieur… pour moi en tout cas, c’était plus rigolo. Les études d’archi, c’était super cool à l’époque, j’ai dû passer une nuit blanche en huit ans ! On avait le temps de s’ouvrir à des tas de choses. A cette époque, les années 70, il y avait plein de fanzines et surtout Métal Hurlant. La BD était devenue adulte, il y avait un mélange des genres avec le cinéma, la musique…
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Jacques de Loustal © Jorge Colombo.
Un jour, j’ai adapté une nouvelle de Boris Vian, Les Chiens, le désir, la mort. Je l’ai transposée façon pop sur la Riviera et j’ai montré mes planches à Philippe Paringaux, le rédacteur en chef de Rock&Folk. Il aimait beaucoup l’histoire, il a juste voulu retoucher le texte. Ce qu’il a fait était à tomber par terre. Je me suis dit : “Plus la peine d’essayer d’écrire”. Depuis, moi qui suis plus dans l’image, je travaille avec des écrivains, des stylistes qui savent donner une petite musique au texte. Barney et la note bleue, sorti en 1987 et juste réédité, s’inspirait de la vie du jazzman Barney Wilen.
A l’époque, Paringaux et vous aviez sorti de l’oubli ce saxophoniste franco-américain ?
Oui, complètement et involontairement. Paringaux était fasciné par ce genre de personnages, l’ascension et la chute. Il avait connu Barney, le petit Mozart du jazz. Il avait vécu une vraie traversée du désert. Et puis il réapparait à Paris et quelqu’un lui parle de la BD. Il aurait peut-être pu nous faire un procès – surtout que son personnage meurt à la fin – mais il a plutôt accepté de faire la BO de la BD. D’ailleurs, il a vendu plus de disques que nous d’albums…
Barney et la note bleue vous a donné cette image de dessinateur jazzy, correspond-elle à la réalité ?
L’esthétique autour du jazz est quand même plus intéressante que celle de Kiss ou Metallica. Le blues, les lieux, la nuit… c’est ce qui m’attire le plus. Il y a tous ces superbes livres de photos, L’œil du jazz, ceux de Bill Claxton, Bruce Weber photographiant Chet Baker. Comme je suis avant tout un fan de guitare, j’aime le jazz à la guitare, genre Wes Montgomery. J’ai un atelier très silencieux, du coup je travaille tout le temps en musique. En fin de journée, je mets des trucs super hard, il n’y a pas longtemps c’était un vieux Alice in Chains. Les musiques de films me permettent de m’ouvrir à des choses différentes. C’est grâce à la BO de Lost Highway que j’ai découvert Marilyn Manson, Smashing Pumpkins, Rammstein…
Une planche de Barney Wilen et la note bleue
Votre nouvel album, Black Dog, est l’adaptation d’un petit livre de Jean-Claude Götting, Noir…
Si j’en ai fait le remake, c’est parce que c’était un livre un peu confidentiel. Je ne ferais pas la même chose avec un livre de Bilal. J’avais très envie de recommencer à travailler sur les Etats-Unis. Je me suis souvenu de Noir, son ton un peu à la Jim Thompson, David Goodis. On en a fait quelque chose de très différent, j’ai demandé à Jean-Claude de tout réécrire, de l’adapter à une autre époque, les années 70 aux Etats-Unis. C’est un peu comme quand Hollywood rachète les droits d’un petit film européen, indépendant en noir et blanc…
Quels sont les ingrédients nécessaires pour qu’une histoire vous inspire ?
C’est l’univers dans lequel elle va se passer. Le décor, l’époque, l’imagerie. J’aimais beaucoup la façon dont Götting avait structuré l’histoire. Il y avait quelques dialogues très amusants. Souvent dans les films, une scène fait que le film est sauvé… Une scène qui te restera toute ta vie alors que tu ne te rappelleras pas l’histoire. Voilà, c’est un peu comme ça. J’avais très envie de travailler l’époque des seventies parce que j’ai pu la ressentir directement. Les films de Don Siegel ou William Friedkin, j’allais les voir au ciné. Ils m’ont imprégné, m’ont donné envie d’aller aux Etats-Unis. J’ai dû y aller la première fois en 1978-1979. C’est un cliché mais quand on arrive là-bas, on est au milieu du film, au milieu des décors. Je n’arrêtais pas de photographier les voitures. Je viens d’aller voir Nice Guys qui se passe en 1977, on est complètement dans cette esthétique.
Dans les bonus de Barney et la note bleue, on voit que vous pensez aux décors en amont, vous êtes très méthodique.
C’est au moment du storyboard où je trouve le plus de plaisir dans la BD. Ma méthode, je la ramène beaucoup à ma culture cinématographique. Je pense séquences, cadrage, l’éclairage et même le casting quand il faut que je dessine les personnages. J’aime l’idée que je me pose les mêmes questions qu’un metteur en scène à un moment précis. Sans avoir après toute la galère à aller chercher de l’argent et les acteurs disponibles ! Le casting c’est un peu fonction du comportement des personnages, la morphopsychologie…
Pour Noir, j’ai regardé des films comme En quatrième vitesse, Lost Highway, Un faux mouvement. Quand j’ai dû dessiner des maisons, j’ai regardé des catalogues de vente, de sites d’agences immobilières californiennes.
Ce soin du détail, c’est pour que vous-mêmes vous y croyiez plus ?
C’est aussi lié au plaisir que j’ai à dessiner cette époque-là. Les paysages urbains, les bouts de ville un peu déserts. Dans Black Dog, j’ai été assez généreux question voitures, j’adore celles de cette époque, grosses, plates, les Buick, les Dodge Challenger.
Mon côté architecte fait que je suis quand même obligé d’être précis. Pour cet album, au lieu de chercher tout le temps sur internet ou dans des vieilles revues, j’ai acheté des modèles réduits de voiture. Ça m’a permis de retourner dans les magasins de jouets… enfin, plus pour les collectionneurs. J’ai acheté des petites voitures des années 70-80, je les ai photographiées telles qu’elles devaient apparaître dans l’histoire.
Dans vos dessins, l’ambiance est soit crépusculaire soit très ensoleillée…
Je suis toujours attiré entre ça, même dans ma peinture il y a les fauves, Hockney, Hopper, et puis aussi Gauguin, Otto Dix, Grosz, Balthus qui est un peu tout ça.
Votre projet suivant sera-t-il en réaction à Noir ?
En ce moment, j’illustre un Simenon, du gros boulot, cinquante dessins. C’est le neuvième de ses romans que j’illustre. J’aime bien être associé à Simenon de cette manière mais je ne l’adapterais jamais en BD. Ensuite, je vais me consacrer à la peinture pendant un moment, jusqu’à ce que l’envie de BD me revienne. A moins qu’il n’y ait une occasion, une rencontre…
Loustal et Götting, Noir, éditions Casterman
Loustal et Paringaux Barney et la note bleue éditions Casterman (avec CD de Barney Wilen)
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