Qui sont Lou Doillon ? Déjà égérie, comédienne et top model, la jeune femme ajoute encore une pièce à son puzzle personnel en portant sur scène un texte de Samuel Beckett dans une performance signée Arthur Nauzyciel. Révélation(s).
Egérie du cinéma d’auteur dans les films de son père, top model sur les podiums des défilés et abonnée des séries mode dans les magazines, Lou Doillon découvre le théâtre à travers L’Image, une nouvelle de Samuel Beckett portée à la scène comme une installation d’artiste par Arthur Nauzyciel.
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Cette étrange confession, où Beckett se remémore le jour de son premier baiser, devient l’occasion pour la fille de Jane Birkin et Jacques Doillon de se questionner sur les avantages et les inconvénients d’avoir à gérer dans la vie sa propre image, surmédiatisée depuis l’enfance.
Comment vivez-vous cette nouvelle expérience, faire du théâtre ?
Lou Doillon – Il m’arrive parfois d’en rêver. Je me retrouve dans les coulisses d’un théâtre un soir de première. A l’affiche d’un Shakespeare, La Nuit des rois peut-être… Je suis avec Arthur Nauzyciel, mon metteur en scène. Je n’ai pas répété, je ne sais rien du texte, ni pourquoi je suis là, et il me dit : « Vas-y, monte sur scène, tu vas bien réussir à faire quelque chose. » Quand je me réveille, je saute sur mon téléphone pour l’appeler en pleine nuit et lui raconter mon rêve. Nous rions ensemble de mon inconscient et de mes angoisses.
Comment s’est passée votre rencontre avec Arthur Nauzyciel ?
De mon côté, ce fut le coup de foudre. Le rendez-vous était organisé par des gens du cinéma qui avaient décidé de se mettre au théâtre, ce qui au final peut s’avérer très dangereux. Durant notre rencontre, je voyais Arthur s’agacer de plus en plus, une attitude qui me l’a rendu tout de suite très sympathique. Au final, il nous a expliqué qu’il n’était pas question pour lui de faire un coup avec moi. Tandis que je voyais la petite bande qui m’entourait se renfrogner et se dire « laissons tomber, ça va être trop compliqué, allons voir les théâtres sur les Champs-Elysées », j’ai tout de suite pensé : « je veux travailler avec ce type, c’est quelqu’un qui m’aime, il a compris immédiatement que le pire serait de me mettre en scène dans un rôle où l’on m’attend. » Lui, il s’est contenté de dire non, et de poser ses conditions… « Tu feras partie d’une troupe, tu te mettras au service d’un texte et tu prendras un train en deuxième classe pour venir répéter à Orléans », où il dirige le Centre dramatique national. Depuis ce jour-là, je ne l’ai pas quitté et je prends un réel plaisir à travailler avec lui.
De quelle manière abordez-vous le métier d’actrice ?
J’ai eu une enfance atypique. Du point de vue de l’art et de la création, je me suis construite sur une culture composée de films d’une durée minimum de deux heures trente avec des plans très longs. Enfant, je regardais principalement le cinéma d’Ozu et celui de Bergman. Je n’ai découvert Star Wars qu’à l’âge de 17 ans. Le côté très protestant de mon père m’a amenée à envisager avec beaucoup de distance le travail d’acteur. Pour mon père, l’important est d’être toujours dans la retenue, jusqu’à ce que ça craque peut-être, mais sûrement pas dans l’hystérie gratuite. L’antithèse de l’esbroufe et de la méthode de l’Actors Studio. Je ne supporte pas les films qui m’épatent, ça me met rapidement mal à l’aise, j’ai envie qu’on me laisse venir vers l’œuvre.
On le voit avec le drame qui se passe au Japon. La raison pour laquelle on craque en regardant les infos, c’est parce qu’on est devant des personnes d’une extrême dignité. On a tellement l’habitude de voir des gens en larmes, hurlant et braillant leur douleur. Ça nous met dans une position de recul et de presque neutralité. Là, tout à coup, avec le drame japonais, chacun est dans la retenue. On a presque honte des questions posées par les intervieweurs. Ces personnes qui ont tout perdu se contentent de baisser la tête et c’est là que l’on se met à pleurer.
C’est votre première expérience sur une scène ?
Pas vraiment. J’ai commencé par me mettre en scène toute seule. Un spectacle de lecture qui s’appelait Lettres intimes. Durant trois mois, au Théâtre de la Madeleine à Paris puis ensuite en tournée, je lisais la correspondance amoureuse de personnages célèbres, de Céline à Maupassant ou Napoléon Bonaparte. En abordant la case théâtre, je ne voulais pas que ce soit facile. Je me suis donné la contrainte d’improviser entre chaque lettre et j’avais décidé de rester en contact avec le public en laissant les lumières allumées dans la salle. Puis j’ai fait une performance sur Catherine Millet et Dalí, où Michel Didym cassait des oeufs sur moi.
L’Image de Samuel Beckett n’est pas un texte de théâtre…
C’est un texte très bizarre, une nouvelle écrite par Beckett dans les années 50. Un cauchemar pour un acteur, la chose la plus compliquée que j’aie jamais faite de ma vie. Un texte rempli de pièges où l’auteur s’amuse à réutiliser le plus souvent possible les mêmes mots pour exprimer des sens différents à travers une seule phrase qui se déroule sur quatorze pages. Là sont la beauté et l’intelligence du texte. Impossible de se mettre en pilotage automatique.
Quel est le sujet de la nouvelle ?
C’est le récit d’un premier baiser, le souvenir d’une première émotion. Beckett nous fait revivre son premier rendez-vous amoureux. Ou comment travailler sur le verbe et comment faire renaître des images enfouies dans la mémoire. C’est un texte qui explique la fabrique des images et se pose la question de rendre compte du réel avec des mots. Beckett a un tel souci de la précision qu’il ne peut se laisser arrêter par une ponctuation en cours de route. Au final, c’est très émouvant, plutôt drôle et assez pathétique… Le pathétique des adolescents engoncés dans leur corps jusqu’à ne plus savoir quoi en faire.
La proposition d’Arthur Nauzyciel tient plus de l’installation d’artiste que de la pièce de théâtre…
Le grand danger aurait été de tomber dans l’illustration. Arthur a conçu le spectacle comme une série de partitions qui se jouent sur un vrai gazon, face au public et en pleine lumière. Il y a une performance de musique électronique conçue par l’Anglaise Mileece, une chorégraphie du danseur Damien Jalet et moi, j’ai en charge de dire le texte. Ce qui est émouvant, c’est qu’au final ces trois-là ne se rencontrent jamais. Ils se ratent comme Beckett rate son rendez-vous d’amour.
Comment négociez-vous au théâtre avec vos diverses images, celles d’actrice de cinéma, de top model ou d’égérie pour les photographes et les marques ?
[attachment id=298]C’est une des raisons pour lesquelles Arthur m’a choisie : il était curieux de voir comment je pouvais mettre en abyme toutes ces images de moi. Ce qu’il adore chez moi, c’est que je suis la reine du grand écart. J’ai la bizarrerie et la chance d’être née franco-anglaise et aristo-bourgeoise du côté de ma mère, tandis que mon père alsacien-allemand est le fils d’une femme de ménage. Petite, ma mère voulait absolument que je m’adapte et me sente bien partout. D’ailleurs, les gens sont restés sur une idée d’elle très années 70 que je n’ai jamais connue. Birkin dans les années 80, c’était avant tout le théâtre avec Pierre Dux, Pierre Arditi et Patrice Chéreau. Pareil pour mon père, son cinéma est à l’opposé de l’industrie. Sur le plateau, on est au maximum six à tout faire, de la lumière à la pose du gaffeur. De plus, quand j’étais enfant, mon père et ma mère étaient obsédés par l’humanitaire. On partait souvent faire des petits films pour Amnesty International avec Piccoli et toute cette bande. Je me suis retrouvée au Guatemala avec des petites filles pendues quand j’avais 8 ans. Deux mois sur les bateaux des boat people avec Jacques Perrin, entourée par des enfants mourants.
J’ai un rapport très bizarre avec l’image que l’on se fait de la notoriété de mes parents et celle que les gens ont de moi. Paradoxalement, je ne vais presque jamais au cinéma alors que je suis toujours fourrée au théâtre. Je suis passionnée par l’histoire, j’ai toujours la tête dans les bouquins, je dévore les livres sur la Commune et la Révolution française.
Comment gérer le côté enfant de stars ?
Au fond, en me proposant de jouer L’Image, Arthur s’amuse de cet état de fait. Je suis un peu sa bête de foire. Au début du spectacle, je reste quinze minutes debout sans parler. Chaque soir, j’observe la façon dont les gens me regardent. Est-ce que je ressemble à ma mère, à Charlotte, à mon père, est-ce que c’est vraiment mon père et jusqu’où je suis la fille de ma mère ? Je le ressens comme un bombardement d’images surréalistes.
Depuis que je suis née, je ne rencontre jamais personne normalement, tout le monde a un a priori sur moi. Il y a quelque chose d’étrange à n’être jamais neutre pour les gens. Après, je lis des choses incroyables sur moi dans les magazines, que je passe mes soirées au Costes, que j’ai un nombre incroyable d’amants, alors que je passe ma vie chez moi à lire, à faire de la peinture. Je suis la preuve vivante de l’absurdité du monde d’aujourd’hui et de jusqu’où l’on peut fantasmer une image. Plus jeune, j’en ai souffert. Mais aujourd’hui, j’ai ma vie et je m’amuse plutôt de l’écart entre ce que je suis et la façon dont on me voit. Je trouve assez drôle d’observer comment le fantasme de cet animal un peu fou et sauvage qui me colle à la peau se développe et grandit tout seul dans les médias et l’imaginaire des autres.
Vous avez créé le spectacle à New York.
Le spectacle a été créé en 2000 avec Anne Brochet pour le centenaire de Beckett à Dublin. Anne n’étant pas libre, j’ai repris son rôle pour sa recréation dans le cadre de Crossing the Line, à New York, en 2008. C’était magnifique car on jouait à la tombée du jour sous une verrière située au dernière étage d’un immeuble uptown avec une vue sur toute la ville. A l’époque, d’ailleurs, j’ai beaucoup fait rire Arthur pour ce qui est de ma faculté d’adaptation. Comme nous répétions pendant la fashion week, je pouvais défiler le matin habillée en haute couture et me retrouver quatre heures plus tard à travailler Beckett en jean et T-shirt, puis assister le soir à un colloque sur l’humanitaire.
Vos projets à venir ?
Nous avons plusieurs projets de théâtre dont celui de monter un spectacle autour de l’auteur et poétesse américaine Dorothy Parker, pour laquelle j’ai une vraie passion. Au cinéma, je vais faire un film avec mon père qui a pour titre Un enfant de toi. Je suis ravie car ça fait onze ans que je le tanne pour que l’on tourne à nouveau ensemble.
Propos recueillis par Patrick Sourd
Photo de la pièce ©Christian Lartillot
L’Image de Samuel Beckett, mise en scène Arthur Nauzyciel, du 12 au 16 avril à La Ménagerie de verre, Paris XIe, dans le cadre du festival Etrange Cargo
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