A la tête du CCN de Caen, Héla Fattoumi et Eric Lamoureux présentent une performance en résonance avec l’actualité : « Lost in Burqa ».
« J’avais dit à Eric : ‘J’ai une surprise, j’arrive !’ Il a eu un choc.” On imagine la tête d’Eric Lamoureux face au dernier costume déniché par Héla Fattoumi : une burqa blanche. Ayant grandi en France et rencontré, très jeune, celui qui deviendra son compagnon et complice artistique, qu’est-ce qui a bien pu conduire cette danseuse et chorégraphe d’origine tunisienne à cette démarche qui aboutira en 2009 à la création du solo Manta ?
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
“Je pense que le voile n’est que l’expression d’une problématique intérieure extrêmement profonde où les jeunes filles sont confrontées en permanence au rapport qu’elles entretiennent avec leur propre corps. Si je suis devenue danseuse, c’est parce que je me suis dit qu’il y avait un truc là, à l’endroit du corps. On le survalorise. On me mettait dans un écrin et on en a tellement fait sur mon corps, mon ventre, ma sexualité, ma sensualité, que la danse a été pour moi une façon d’aller chercher pourquoi le corps de la femme est si important dans le monde arabomusulman”, récapitule-t-elle, au retour d’une tournée européenne de Manta qui résonne fortement avec l’actualité des révolutions arabes.
“Si on n’était pas arrivé à ce degré d’enfouissement du corps féminin, je n’aurais jamais senti la nécessité de faire l’expérience de cette disparition. Pour moi, c’est vraiment l’endroit de la bascule. J’ai eu besoin de comprendre pourquoi, alors qu’on est en France et que rien ne les y oblige, des jeunes filles choisissent de porter la burqa. C’est diamétralement opposé à la raison initiale qui était de soustraire au regard le corps de la femme.”
Utiliser la danse, le corps en mouvement et la traversée des espaces, géographiques et imaginaires, est aussi au cœur de leur projet pour le Centre chorégraphique national de Caen. Dès 2005, ils proposent au public Danse d’ailleurs, festival ouvert aux artistes rencontrés en Afrique, puis en Asie et aujourd’hui en Inde. Etre dans l’échange et aller là où il y a de la différence, “où ça crée du dialogue, de la friction”, tout simplement.
“Notre mode de travail tourne toujours autour de cette question de l’altérité, cet espace de l’entre qui nous caractérise et fonde notre travail depuis vingt ans. On avait envie de le développer encore plus dans ce Centre chorégraphique national situé dans une région qui était alors un véritable désert chorégraphique. Ce qui nous intéresse aussi, c’est comment ces artistes ont compris qu’il est nécessaire de développer dans leur pays d’origine une danse, d’en être le garant ou le vecteur. Par rapport aux générations précédentes où l’artiste défendait son travail de créateur, il y a cette prise en compte qu’on est un maillon d’une chaîne possible qui peut grandir. Que ce soit avec Salia Sanou et Seydou Boro, Taoufiq Izzediou, Hafiz Dhaou et Aïcha M’Barek ou Faustin Linyekula, tous ces gens ont le désir, l’énergie et cette vision du partage.”
On retrouvera cette année Taoufiq Izzediou, Hafiz Dhaou et Aïcha M’Barek aux côtés d’artistes à découvrir : Djodjo Kazadi (RDC), Nunu Kong (Chine) ou les Monochrome Circus (Japon). Et si Héla Fattoumi n’imagine pas transmettre Manta à une danseuse, elle prépare avec Eric Lamoureux une performance pour huit danseurs mixtes avec les costumes-sculptures de l’artiste Majida Khatari. Tous unis dans un même symbole : l’enfermement.
Fabienne Arvers
{"type":"Banniere-Basse"}