La scène artistique de Los Angeles connaît une explosion sans précédent, retranscrite jusqu’en juillet au MAC Lyon dans une grande exposition thématique. En perpétuelle agitation, la mégalopole ne cesse de se réinventer.
“A la voiture 6-rayon X-32 et toutes les unités : voir femme dans Hollywood Boulevard, à l’ouest d’Highland. Agression en cours. Batman contre Spider-Man. Batman vu pour la dernière fois en train d’entrer dans le Kodak Center. Personne qui a lancé appel est Marilyn Monroe.”
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Cet extrait de Flic à Hollywood, de Joseph Wambaugh, est reproduit sur un cartel en guise d’introduction, à l’entrée de l’exposition Los Angeles, une fiction. Ce roman culte décrit une bagarre restée dans les annales entre des quidams qui se déguisent en superhéros pour épater les badauds sur Hollywood Boulevard.
Comment rendre compte de cette mégalopole démesurée ?
Exposition thématique sur une scène en pleine effervescence, Los Angeles, une fiction investit deux étages du MAC Lyon. Elle mélange art et littérature, images et mots : 34 artistes, mais aussi 84 écrivains, des extraits de romans ou d’essais reproduits sur les murs, dialoguant avec les œuvres.
On peut s’étonner a priori de ce choix, Los Angeles, capitale de l’entertainment et du septième art, étant la ville de l’image et du son plus que de la littérature (allez dire à quelqu’un là-bas que vous êtes écrivain, il vous demandera à quel scénario vous travaillez).
“Aller sous les couches d’images pour toucher aux problèmes sociaux cachés” Gunnar B. Kvaran, cocurateur
Comment rendre compte de cette mégalopole démesurée, baroque, hyper réelle qu’est L.A ? Comment dépasser le mythe d’une scène artistique cool et hédoniste pour en saisir la richesse et la complexité ? “Après deux années passées à sillonner la ville, quelque chose nous dérangeait, confie Gunnar B. Kvaran, curateur avec Thierry Raspail de l’exposition. Une drôle d’ambiguïté, un décalage entre le rêve américain et la réalité. On s’est rendu compte qu’il fallait aller sous les couches d’images pour toucher aux problèmes sociaux cachés (inégalités, crise écologique, racisme, etc.).” D’où l’idée d’approcher la ville à travers la fiction, pour en interroger la mythologie et révéler, sous les paillettes hollywoodiennes, la dure réalité.
Entre valeurs sûres et bonnes surprises issues de la nouvelle génération
Dès la première salle, les auteurs Mike Davis, T.C. Boyle et Joan Didion font ainsi face au pionnier Charles Ray et à son mannequin-homme auquel il a ajouté un sexe et des poils pubiens, comme si l’artifice devenait réalité. Choisis par Nicolas Garait-Leavenworth, artiste français qui connaît la ville comme sa poche, les textes plantent l’atmosphère ; ils évitent les pièges de l’illustration et de l’analyse pour devenir des échos, clins d’œil aux œuvres.
Bret Easton Ellis est ainsi judicieusement placé en face d’une installation vidéo de Ryan Trecartin et Lizzie Fitch, l’écrivain et le duo d’artistes partageant une même fascination pour la teen culture écervelée et hystérique.
Les salles s’enchaînent entre valeurs sûres (David Hockney, John Baldessari, Ed Ruscha, Paul McCarthy) et bonnes surprises issues de la nouvelle génération (Nicole Miller, Nancy Lupo). Henry Taylor clôt le bal avec ses toiles majestueuses, rappelant le rôle fondamental de la culture afro-américaine et de ses artistes si longtemps ignorés dans l’histoire de Los Angeles.
Une impression d’être resté à la surface des choses
Pour entrer dans Los Angeles, une fiction, il faut accepter de se perdre. Se laisser porter, naviguer dans l’espace comme on le fait au volant, quand on circule dans la ville. Surgissent alors, ici ou là, derrière un mur, la surprise ou même l’effroi, comme ces immeubles magnifiques ou ces no man’s land peuplés de homeless sur lesquels on tombe, à Los Angeles, au détour d’une avenue.
On reste pourtant sur sa faim, au bout du trip, avec cette scénographie quasi inexistante ; une impression d’être resté à la surface des choses (en revanche, le livre, sorte d’anthologie des écrivains angelenos également intitulé Los Angeles, une fiction, est passionnant).
Si les prismes historiques et thématiques semblent de fait inopérants pour saisir une ville aussi jeune et diverse, peut-être aurait-il été préférable de la considérer par quartiers. C’est en effet ce qui fait la singularité de cette scène artistique : sa capacité à migrer, avec un turn-over sans équivalent, d’un bout à l’autre de la ville.
Après Chinatown puis Culver City, Downtown est en vogue
Après Chinatown, il y a dix ans, Culver City, il y a cinq ans, c’est désormais Downtown qui est en vogue, comme on pouvait le constater sur place cet hiver. Une dizaine de galeries et un grand musée (l’Eli and Edythe Broad Art Museum) y ont ouvert depuis le début de l’année. Plusieurs plasticiens français étaient à l’honneur : Claire Tabouret à la Night Gallery, Myriam Mechita à MAMA Gallery, Lionel Sabatté à Please Do Not Enter, Benjamin Renoux chez Baert Gallery.
Le quartier doit beaucoup à l’ouverture d’un espace gigantesque par Hauser & Wirth, ainsi qu’à la renaissance du MoCA (Museum of Contemporary Art), désormais dirigé par Philippe Vergne. Doug Aitken y montrait Electric Earth, rétrospective de ses œuvres vidéo, forcément populaires dans la capitale mondiale de l’image en mouvement.
Signe ultime du succès du quartier, l’ouverture d’un espace par United Talent Agency (UTA), l’une des trois grosses agences d’Hollywood. Traditionnellement dédiée aux acteurs et réalisateurs, celle-ci s’intéresse désormais aux plasticiens ayant l’ambition de développer des projets ciné ou télé, comme les frères Jake & Dinos Chapman. Maintenant installés à L.A, les bad boys de l’art british y exposaient leurs dessins cauchemardesques, parfois lubriques et pourtant magnifiques. Une vision somme toute pertinente de la ville, de sa culture et de son état d’esprit.
Los Angeles, une fiction jusqu’au 9 juillet au MAC Lyon
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