Génialement drôle, Marilú Marini incarne une figure du mal à la méchanceté sans limites dans cette pièce signée Carlo Gozzi, auteur vénitien du XVIIIe siècle.
S’illuminant de nuit à la manière d’un grand huit de foire, les bosses et les creux d’un immense toboggan déroulent leur parcours accidenté depuis les cintres jusqu’à l’avant-scène. Se déployantsur toute la largeur du plateau, cette voie royale est une première révérence de Laurent Pelly au maître vénitiendu théâtre populaire qu’est Carlo Gozzi (1720-1806).
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Capable de se réinventer de scène en scène, la scénographie s’accorde à merveille à l’univers fantasque d’un auteur qui laisse la bride sur le cou à la fable pour la chevaucher en toute liberté. L’Oiseau vert va nous mener des rives du fleuve traversant la ville imaginaire de Monterotondo à un désert où les statues parlent, d’une grotte où coule une eau miraculeuse à un jardin où les pommes chantent.
Avec Gozzi, les ficelles du conte philosophique sont d’abord un prétexte à d’impayables joutes oratoires propres à la commedia dell’arte. Menée sans temps mort par une belle troupe d’acteurs, l’intrigue invraisemblablese joue dans la belle modernité d’une adaptation de la pièce signée par Agathe Mélinand.
Un Dark Vador d’avant l’heure joué par une femme
Il suffit de résumer la situation de départ de la fable de Gozzi pour se faire une idée de l’humour noir qui infuse dans son histoire. Voilà dix-huit ans que le roi Tartaglia est parti guerroyer sans attendre que sa femme ait accouché. La reine mère en a profité pour régler ses comptes avec celle qui lui a volé son garçon.
Ordonnant qu’on tue ses jumeaux nouveau-nés et qu’on les remplace par deux chiots, elle a accusé l’épouse de sorcellerie et l’a fait enterrer vivante sous l’évier des cuisines. Le retour du roi ne change rien à l’affaire : si les jumeaux ont, par miracle, échappé à la mort, et si leur mère patauge toujours dans l’eau croupie du siphon, tous devront pourtant compter sur la magie d’un oiseau vert pour espérer un happy end.
Avec son génie comique incomparable, Marilú Marini interprète la terrible marâtre en s’amusant à la représenter comme la plus extravagante des divas. Avançant sur le plateau dans l’apparat d’une robe noire à la traîne interminable, l’actrice argentine s’aide pour marcher de deux longues cannes tordues qui lui donnent l’allure d’une inquiétante mante religieuse.
Se livrant tout entière à l’exercice de style d’incarner la reine comme une pure figure des forces du mal, elle contrefait sa voix pour nous gratifier à chacune de ses apparitions d’un chant de crécelle où le moindre “r” est roulé à l’envi comme sur la peau d’un tambour. Chacune de ses apparitions fait un carton auprès du public. Gloire, donc, à Gozzi et à son Dark Vador d’avant l’heure quand il est joué par une telle femme.
L’Oiseau vert d’après Carlo Gozzi, adaptation Agathe Mélinand, mise en scène Laurent Pelly, avec Marilú Marini. Jusqu’au 30 juin, Théâtre de la porte Saint-Martin, Paris Xe
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