Avec “FANFARE”, Loïc Touzé compose une partition silencieuse, celle de la musicalité du geste débarrassé du bruit. Sur scène, une communauté provisoire cherche le la. Dans le cadre de June Event.
Ô montagne, votre précédente pièce, était un travail très poussé sur la voix. FANFARE, elle, est muette, d’une certaine façon.
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Loïc Touzé – Chaque pièce que je réalise trouve pour partie son origine dans la pièce précédente, un motif est déjà là en puissance, une bouture que j’identifie et que je cultive dans la pièce qui vient. Parmi tous les motifs que m’offre Ô Montagne, c’est celui du chœur/récitant que je choisis de reconduire pour FANFARE, mais sans les chants ni les emprunts explicites aux récits mythologiques.
La musicalité s’est déplacée de l’audible à la vision, de ce que l’on entend à ce que l’on voit. FANFARE est en quelque sorte une pièce à la fois muette et bruyante. Ce sont les gestes et leurs rapports qui en composent la mélodie.
FANFARE – comme Ô Montagne – est traversé par la tragédie : de quelle manière ?
S’il y a des figures tragiques, ce sont dans les rapports inattendus entre les danseurs qu’elles surgissent, mais elles sont plus figurales que figuratives. Elles ne cherchent pas à représenter mais tentent plutôt de nous impressionner au détour d’un rapport ou d’un contact exprimé par une force ou une faille et à laquelle l’imaginaire du spectateur peut accéder directement. C’est parce que les gestes dans FANFARE sont simples que l’on accède à leur complexité. Ils travaillent l’inconscient de ceux qui les produisent, c’est-à-dire autant de celui qui les fait que de celui qui les regarde.
Dans FANFARE, le groupe en scène semble fonctionner en osmose jusqu’au moment où quelque chose surgit. Est-ce une mise en tension ?
Etre ensemble, constituer une communauté provisoire, c’est s’unir, comme le dit Rainer Maria Rilke, “par le paysage, la lumière, le début et la mort… plutôt que de chercher ce qu’il y a de commun en chacun de nous et risquer la discorde…” C’est un travail de patience, soutenu par la conviction que le soin donné à nos gestes et aux rapports qu’ils dessinent sculpte ce qui nous assemble. L’irruption d’un autre groupe, d’un corps hétérogène, met à l’épreuve ces liens, mais aussi les révèle. C’est en partageant nos gestes que ceux-ci s’affirment, qu’ils deviennent une valeur, c’est en les voyant dans les corps d’autrui que leur sens éclate.
Quelle est votre méthode de travail : des improvisations, des propositions des danseurs, un échange permanent ?
Je fais des propositions pour que nous puissions tous composer les gestes et comprendre l’espace qui les contient. Les danseurs expérimentent longtemps ces propositions. Les empruntant, ils les altèrent, les usent, les stimulent ou les effacent. Nous avançons ensemble, parfois ils me suivent, parfois ce sont eux qui me précèdent. C’est un dialogue constant, une suite d’expérimentations qui se sédimentent. Chaque œuvre s’appuie sur un imaginaire que la pratique de la pièce en construction révèle.
Que recherchez-vous chez un interprète ?
Je cherche avec l’interprète, je suis un chorégraphe danseur, c’est dans l’aventure du geste en train de se faire que je rencontre la danse. Les opérations que l’interprète engage pour que son geste soit une aventure inédite pour lui et pour le spectateur est un risque qu’il prend, poétique certes, mais un risque réel.
Je travaille avec des artistes qui ne cherchent pas à montrer leur danse ou à utiliser les gestes qu’ils font pour affirmer leur présence. Ils travaillent à préciser leur vision, ils s’aventurent dans des fictions qui nourrissent ce qu’ils font, les compositions qu’ils traversent et que nous avons construites ensemble ne sont que des bords et des leurres pour que l’imaginaire de tous trouve une place. Ils sont capables d’un geste ouvert, plus large qu’eux-mêmes mais qui ne cherche à aucun moment à résoudre une quelconque énigme. Ils ne montrent pas, ils voient, et c’est parce qu’ils voient qu’ils dansent.
Vous avez aussi collaboré à des projets extérieurs. Nos images avec Mathilde Monnier, ou, dernièrement, avec la compagnie XY. Qu’en retirez-vous ?
Avec le collectif XY et ses vingt-deux acrobates, c’est avant tout une expérience de la négociation. Le terrain est là, partagé avec des personnes qui ont une autre culture que la mienne, d’autres attentes et d’autres objectifs. Je dois comprendre comment je peux contribuer à un projet qui est éloigné de ce que je fais dans mon propre travail. Je suis bousculé, mes propositions sont mises en doute, je dois trouver des stratégies pour que ce à quoi je crois trouve sa place. Quand j’y parviens, l’écho de mes propositions accordées au choix du collectif prend une puissance qui me réjouit.
Pour Nos images, c’est différent. Tanguy Viel et Mathilde Monnier sont des artistes dont je suis proche. S’amuser à inventer un petit cabaret qui parle de cinéma était comme une balade dans la campagne. Chaque collaboration est l’occasion d’un échange, d’un déplacement, d’une aventure qui augmente mon appétit de créer des formes, d’inventer des gestes.
FANFARE de Loïc Touzé, le 13 juin à 19 h 30, Atelier de Paris-Carolyn Carlson, Paris XIIe
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