Mal connu en France, le photographe sud-africain fait l’objet d’une rétrospective qui met en avant un regard documentaire qui tend vers la plus grande neutralité.
Ils semblent austères, presque ordinaires. Progressivement, pourtant, ils saisissent par leur justesse. Les clichés de David Goldblatt parlent sans emphase, animés, selon les mots de cet artiste né en 1930, d’une volonté de “mettre en photographie l’état des choses”, de comprendre une réalité complexe, marquée par la ségrégation et les fantômes du passé, celle de la société sud-africaine.
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Tout au long de sa carrière, Goldblatt l’a traversée, des Afrikaners aux mineurs, des paysages à l’individu, des velds à l’urbanité. Mû par sa curiosité, guidé par son empathie, il est venu, a vu et a gardé la trace de celles et ceux qui ont croisé son chemin.
Clichés impressionnistes et lignes géométriques
Oscillant entre des clichés impressionnistes évoquant des dessins au crayon à papier, des photos numériques en couleur ou de somptueux clairs-obscurs argentiques, son œuvre documentaire saisit l’appareillage de la société, les incidences des règles et des normes diffuses, assignant des rôles sociaux, régissant la division du travail, les apparences physiques et les comportements.
Les lignes géométriques qui segmentent les espaces sont un leitmotiv dans l’exposition. Seuls ou regroupés, mal à l’aise ou relâchés, au travail ou au repos, les corps photographiés prennent position dans un environnement qui leur colle à la peau. Ils s’y lovent, étendus sur une couverture, s’en protègent, comme deux gamins qui s’enlacent, ou composent avec lui, à l’instar d’une vendeuse qui ondule devant le rayonnage de son épicerie.
Photographiant avec sobriété les hommes dans l’architecture sud-africaine, David Goldblatt témoigne de ce qui échappe à la matrice institutionnelle, soulignant sa rigidité autant que la possibilité de s’y soustraire. C’est dans cette mesure que cet artiste porte une attention inouïe, respectueuse et sensible, à la singularité des paysages, des événements et des êtres qu’il rencontre, lui qui a toujours revendiqué une “conscience intense” des particularités : “plis de la chair, poids des membres, rugosité des mains, longueur des doigts, mouvement d’un tendon de pied, drapé sur une hanche ou un sein”.
Comprendre sans réduire
Car les cadres engourdis de la société sud-africaine, fondée sur le contrôle et la ségrégation, se brisent lorsque l’on s’approche d’un visage. Ici réside le caractère politique de l’œuvre de Goldblatt, plongeant dans la réalité des êtres, comme autant de postures de résistance à la violence de la société qu’il ausculte.
Dissimulant sa virtuosité, sa photographie se prémunit ainsi de tout systématisme, de toute mécanique stylistique lourde. Elle n’appose pas de grille de lecture sur le monde : la forme est souple et épouse un fond toujours complexe.
Comprendre sans réduire. Voici le grand accomplissement de David Goldblatt qui, en dépit des oppositions binaires qui structurent la société, restitue le millefeuille des tensions de genre, de classe, de race. Et s’approche ainsi au plus près des êtres. Julie Ackermann
David Goldblatt Jusqu’au 13 mai, Centre Pompidou, Paris IVe
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