La Brésilienne évoque les coulisses du nouveau volet de son diptyque inspiré par Homère, où l’on croise des Indiens d’Amazonie et des réfugiés de toutes les nationalités.
Le contexte brésilien infuse toujours en profondeur dans les spectacles de Christiane Jatahy. En 2018, avec sa pièce précédente Ithaque – notre Odyssée I, elle s’inspirait déjà d’Homère pour rappeler la manière dont Pénélope avait dû résister à la violence des prétendants au trône d’Ulysse et en faire la métaphore du climat délétère et des attaques qui visaient la présidente Dilma Rousseff et ont conduit à sa destitution en 2016.
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Pour le deuxième volet de ce diptyque, la metteuse en scène porte un regard qui embrasse les violences à l’œuvre dans de nombreuses parties du monde sans oublier le Brésil. Revenant sur l’histoire d’un retour d’Ulysse qui dura dix années, elle s’attache aux temps forts de son périple légendaire pour les faire résonner avec le destin d’errance auquel sont confrontés les réfugiés d’aujourd’hui.
“J’ai souhaité mêler la fiction immémoriale à la réalité vécue au présent par des personnes contraintes par les guerres à fuir leur pays”
“A travers la geste poétique du héros d’Homère, j’ai souhaité mêler le récit d’une fiction immémoriale partagée par tous à la réalité vécue au présent par des personnes contraintes par la violence des guerres à fuir leur pays”, résume Christiane Jatahy.
En l’occurrence, O agora que demora – Le présent qui déborde, notre Odyssée II va d’abord se construire à travers un documentaire recueillant les témoignages de personnes déplacées, réfugiées en Palestine, au Liban, en Grèce et en Afrique du Sud.
Des réfugiés syriens, iraniens, irakiens
“Nous avons travaillé avec des comédiens et des comédiennes ayant un statut de réfugié, poursuit-elle. Dans le camp de Jenine en Palestine, nous les avons filmés à seulement quelques kilomètres de leur maison et des villes d’où ils ont été chassés. Au Liban nous avons tourné avec des Syriens, en Grèce avec un comédien iranien et un auteur irakien, en Afrique du Sud avec des familles qui avaient fui le Malawi et le Zimbabwe.”
Ainsi, chaque fable tirée de L’Odyssée devient le prétexte à des confessions bouleversantes témoignant du vécu de ses acteurs. Se réclamant d’un dialogue entre le film sur l’écran et l’instantané du théâtre, la pièce trouve sa forme à la croisée troublante de ces deux temporalités. Pour ses concepteurs, questionner l’intime des comédiens avec un tel projet ne pouvait se penser qu’en acceptant de briser l’armure.
Le scénographe Thomas Walgrave ainsi a décidé de lire des passages du journal intime tenu par son grand-père, qui avait fui son pays durant la Seconde Guerre mondiale et s’inquiétait que la famine ait atteint la Belgique où il avait laissé sa femme et l’enfant en bas âge qui deviendra sa mère.
On sait que L’Odyssée ne s’achève pas à Ithaque. Pour apaiser Poséidon dont il a tué le fils, Ulysse doit reprendre son chemin en portant une rame à l’épaule pour aller à la rencontre d’une communauté d’humains qui en ignorent l’usage.
Le retour à la maison des origines, un graal
Ce sera pour Christiane Jatahy l’occasion de revenir sur un épisode dramatique de l’histoire de sa famille, quand l’avion qui transportait son grand-père fut victime d’un crash au cœur de la forêt amazonienne en 1952.
“Comme Pénélope, ma grand-mère a attendu son retour toute sa vie avec l’espoir qu’il ait survécu. J’ai décidé que cette odyssée ne s’achèverait pas pour moi sans partir à la recherche des traces de sa présence dans la jungle, en questionnant les descendants des Indiens kayapos qui vivaient sur le territoire où son avion s’était perdu. C’est sur cette rencontre avec des hommes et des femmes qui pouvaient avoir encore la mémoire de ce qui lui était arrivé que je voulais clore ce spectacle, où le retour à la maison des origines est un graal pour tous ceux que nous avons rencontrés.”
Une manière pour Christiane Jatahy de prendre à rebrousse-poil un discours politique qui instrumentalise chaque réfugié pour en faire un intrus dans nos sociétés, alors qu’aucun n’a renoncé au désir ni à l’espoir de retrouver un jour la terre de leur patrie.
O agora que demora – Le présent qui déborde, notre Odyssée II d’après L’Odyssée d’Homère, mise en scène, réalisation, dramaturgie Christiane Jatahy. Du 5 au 12 juillet, gymnase du lycée Aubanel, Avignon
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