Stanislas Nordey et Pierre Guyotat ouvrent la boîte a outils de l’Ircam. Le comédien donne une lecture mise en sons de “Joyeux animaux de la misère”. Répétitions de cette première étape de travail avant une création de l’intégralité de ce texte en automne 2015.
Que faire d’une voix ? La question n’est pas simple. D’abord, une voix est rarement seule. Et même si c’est le cas, elle tend à être plusieurs. Sans compter qu’il y a “voix” et “voix”. Il y a les différentes voix qui se font entendre dans un livre – comme dans Joyeux animaux de la misère de Pierre Guyotat par exemple. Et il y a la voix du locuteur qui les fait entendre dans le contexte d’une mise en espace, comme c’est le cas de Stanislas Nordey.
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Le comédien et metteur en scène s’associe avec Olivier Pasquet de l’Ircam pour donner une lecture de la fin du dernier livre de Pierre Guyotat dans le cadre du festival Manifeste. Si la question de la voix est si importante, c’est qu’à la lecture de l’œuvre par Stanislas Nordey s’associe une création sonore par Olivier Pasquet construite précisément à partir de l’organe phonatoire du comédien.
Une semaine avant la première, l’espace de projection de l’Ircam où le spectacle doit avoir lieu évoque un temple moderniste. Les multiples sources sonores réparties dans la salle diffusent ce curieux mélange qu’est la langue de Guyotat. Une truculence châtiée charriant ce que certains décriraient comme des insanités : “cul enfoutré”, “qu’un gros pouce me crochète la chatte”, “marqué d’amour comme un mur de chiottes”…
Belle langue servie par un beau grain de voix. Assis dans les gradins, Stanislas Nordey se concentre sur ce flux régulier. La voix égale, parfaitement rythmée, restitue le texte sans en rajouter. Les mots de Guyotat n’en ont que plus de force. On distingue cependant d’infimes modifications dans la trame sonore. On croit même un instant entendre la voix de l’auteur lui-même se substituant à celle du comédien.
Ce n’est pas le cas. La preuve, Pierre Guyotat a été enregistré de son côté lisant son texte par Olivier Pasquet. Sa respiration est différente, moins régulière, plus intuitive. Mais de sa lecture émane une grande douceur. Il est possible qu’on entende aussi sa voix lors de la création. Pour le moment rien n’est fixé. Une question se pose : faut-il ou non modifier la voix pour traduire les différents locuteurs présents dans le texte ? Stanislas Nordey est dubitatif. Il se méfie des effets. “Au début on a beaucoup joué avec ça, explique-t-il. C’est inévitable avec l’Ircam. Quand Olivier m’a exposé tout ce qu’on pouvait faire, c’était un peu comme s’il déployait devant moi une boîte à outils. D’abord on veut tout essayer. Mais plus on se rapproche de la première, plus on sait qu’il faut faire des choix.”
Oubliés, les effets sans doute trop faciles. Reste en revanche le travail essentiel de création sonore à partir de la voix réduite à des paramètres abstraits : petits claquements rythmés auxquels se superposent des sons étirés tandis qu’on entend toujours le texte, mais en retrait comme dans un léger brouillard ; une voix mentale qui se parle à elle-même. Des sonorités froides, tenues, associant graves et aigus envahissent l’espace. “J’adore ce côté Ircam, années 1980”, s’amuse Olivier Pasquet. Stanislas Nordey se demande s’il faut un micro à vue sur scène. “Dans ce cas-là c’est seulement pour l’effet décoratif”, remarque Olivier Pasquet. Tandis qu’un autre demande : “Un micro branché ?” La technique tend de plus en plus à se dissimuler.
Stanislas Nordey tient beaucoup à ce qu’Olivier Pasquet soit présent avec lui sur le plateau. Car certains effets seront produits dans le temps du spectacle. “Il faut qu’on voie que tout ça n’est pas un truc magique qui sort de nulle part. Mais que c’est Olivier qui en est l’auteur.”
Joyeux animaux de la misère, d’après Pierre Guyotat mise en espace et lecture Stanislas Nordey, création sonore Olivier Pasquet les 11 et 12 juin à l’Ircam, Paris (75). Dans le cadre du festival ManiFeste du 11 juin au 10 juillet.
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