Dans le cadre de la troisième Biennale des photographes du monde arabe contemporain, l’Institut du monde arabe propose, avec l’exposition “Liban, réalités et fictions”, le regard de la jeune création artistique intimement inspirée par le pays. Une exposition qui est prolongée jusqu’au 1er décembre.
Des femmes, jeunes ou âgées, posent en treillis devant l’objectif de Lamia Maria Abillama. Elles nous regardent froidement du fond de leurs intérieurs domestiques. Mais cette intimité glaçante vaut évidemment pour un extérieur brûlant, leur pays, le Liban, leur ville, Beyrouth, qui furent ravagés par trois décennies de guerre de 1975 à 1990.
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La série s’appelle Des réalités en conflit. Ce titre résume parfaitement le projet de Gabriel Bauret, commissaire général de la Biennale : témoigner d’un passé douloureusement présent, tout en ouvrant les fenêtres d’un impressionnant désir d’avenir.
Des visions qui se croisent et se regardent
Du quasi-documentaire à la presque fiction, les visions ne font pas que se croiser, elles se regardent. Ainsi le travail de Dalia Khamissy, où là encore ce sont des femmes qui posent, avec une photo ou un objet familier ayant appartenu à un fils, un père, un mari, enlevés durant la guerre civile.
Le cartable rouge et vert d’Ahmad Dirawi qui avait 13 ans lorsqu’il a été kidnappé, ou encore plus crève-cœur, la chemise rose d’Aziz Dirawi, lui aussi enlevé. Proprement repassée et suspendue à un cintre, elle est un fantôme qui murmure : “Dis, quand reviendras-tu ?” Probablement jamais.
Une mise en scène du réel
Au fil de l’exposition, Liban, réalités & fictions à l’Institut du monde arabe, pas à pas s’immisce la mise en scène du réel. Bel exemple avec Omar Imam, qui dans un camp de réfugiés syriens au Liban a proposé à certains de devenir acteurs de leur malédiction le temps de quelques saynètes « psychologiques » non dénuées d’insolence et d’humour.
Une mère, ses deux enfants et un épouvantail figurant son mari : “Au moins avant notre divorce, il était utile pour éloigner ceux qui nous harcelaient, mes filles et moi”, dit le verbatim de la légende. Ou cet homme travesti en bateleur qui raconte à sa femme aveugle ses séries télé préférées : “Parfois, je change le scénario afin de créer une meilleure atmosphère pour elle.”
Changer de scénario, c’est aussi l’ambition de Myriam Boulos dans Nightshift en documentant en noir et blanc les folies nocturnes de la jeunesse beyrouthine qui s’explose pour conjurer l’éclatement toujours latent.
Des frontières encore plus poreuses
Mais c’est avec Catherine Cattaruzza et François Sargologo que les frontières deviennent encore plus poreuses. Travaillant avec des pellicules périmées, Catherine Cattaruzza induit de l’aléa dans des paysages eux-mêmes hasardeux : terrains vagues, chantiers abandonnés, autant de non-lieux de Beyrouth qui arpentent les rives d’un cauchemar étrangement habitable.
Quant à François Sargologo, tel un Méliès contemporain, il construit son Beyrouth empire, bricolage d’images d’archives et de photos de famille superposées. C’est l’œil rond d’une lanterne magique où flottent des poussières de mémoires, avant que le vent ne les disperse.
Point d’orgue et conclusion : la sensationnelle installation vidéo de Zad Moultaka. Pour se souvenir de la guerre, du bruit des bombes, il a filmé une chambre, ses murs, le lit, les oreillers. Qui, par la grâce poétique de son cadrage rapproché, deviennent des dunes, des montagnes, un océan.
Comme un enfant terrorisé qui, réfugié dans la cabane de ses draps, rêve d’une impossible quiétude. L’installation se nomme Land Escape, une échappée belle, en effet.
Liban, réalités & fictions, jusqu’au 1er décembre, Institut du monde arabe, Paris
Programme complet de la Biennale des photographes du monde arabe contemporain : imarabe.org
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