Répartie entre deux espaces, l’exposition The Anatomy of My Desire de Douglas Gordon à la galerie Kamel Mennour interroge à son insu, la soumission de la création à l’idéologie d’entreprise.
Douglas Gordon avait pour la dernière fois été aperçu à Paris dans un sous-sol de galerie. Là, il installait sa barricade, ou plutôt sa « proposition de barricade », telle qu’il l’avait alors intitulée. Soit un fatras de meubles de récupération, d’armes à feu, de loups empaillés et de pinups de papier jauni, faisant surgir un paysage violent et fascinant.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Une liberté plus qu’une provocation
Des restes de fête, ou peut-être d’un rituel. En 2017 à la galerie Untilthen, l’artiste avait tout bonnement installé son atelier au sous-sol. La fête et le rituel, on le comprenait, figuraient son processus de création.
A l’époque, Bret Easton Ellis n’avait pas encore fait paraître White, fulgurant brûlot s’élevant contre l’anesthésie des arts sous le joug de l’idéologie d’entreprise. A la mesure de la surprise, et d’un certain soulagement éprouvé en circulant au sein de l’exposition Jesus Is Not Enough, on pressentait l’étau se resserrer.
Ici, celui qui fut, à 30 ans, lauréat du prestigieux Turner Prize affirmait autre chose. Une liberté plus qu’une provocation, et l’affirmation de l’éternel facétieux d’un gamin venu d’Ecosse.
Un accrochage minimal
Deux ans après, Douglas Gordon est de nouveau à l’honneur. Depuis une autre galerie cette fois, la galerie Kamel Mennour qui lui offre ses deux espaces rive gauche. Changement d’ambiance. L’accrochage est minimal. Une, deux, trois pièces maximum, bien séparées les unes des autres.
Les formes, elles, parlent l’espéranto mondial du post-conceptualisme. Les deux expositions témoignent de l’arc caméléonesque de Douglas Gordon. Chez lui, la posture de l’individu inspiré est récusée au profit du sampling cher à la génération nineties, puisant aux sources du folklore, de la littérature, des films d’Hollywood et de la pop culture en général pour égrener la partition d’une mémoire collective où viennent s’accrocher les notes individuelles du désir individuel. The Anatomy of My Desire l’illustre.
Un display propre, très propre, trop propre
Le point de départ de cette nouvelle proposition, c’est le film Le Ballon rouge d’Albert Lamorisse (1956), visionné par l’artiste lors de son enfance. Rue du Pont-de-Lodi, une ligne de nœuds de ballons de baudruche a été disposée à hauteur de regard d’enfant.
Coulés en argent massif, ils sont vernis de rouge, à l’exception de l’un d’eux, en or massif. A travers la verrière, on aperçoit cette fois un ballon rouge entier flotter au bout de sa corde à l’extérieur.
Sur un autre mur, un néon épelle : « Je suis le nom- du monde ». Une partie de la phrase est tombée à terre : le « -bril », de nombril. Rue Saint-André-des-Arts, le propos se délite et le ballon tire sur la corde.
Les références également, puisque ces deux manteaux couleur camel et cols roulés gris suspendus au mur, l’un en taille adulte, l’autre en taille enfant, font cette fois-ci référence, nous indique-t-on, au manteau porté par Marlon Brando dans Le Dernier Tango à Paris de Bernardo Bertolucci (1972).
Mais l’ensemble ne prend pas. La faute à un display propre, très propre, trop propre – entrepreneurial. The Anatomy of My Desire n’est pas une exposition. Tout au plus une juxtaposition de pièces, si puissantes soient-elles individuellement.
Douglas Gordon. The Anatomy of My Desire Jusqu’au 20 juillet, galerie Kamel Mennour, Paris VIe
{"type":"Banniere-Basse"}