Le visiteur ne peut accéder à l’expo Critical Mass que s’il décrit ce qu’il souhaiterait y voir.
A Gennevilliers, entre les murs d’une enclave nommée galerie Edouard Manet, le peuple a pris le pouvoir. Le peuple, ou plutôt n’importe quel individu doté d’un doigt pour cliquer.
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Car dans ce contre-espace, il n’est même pas encore question de rassemblement, condition première pour qu’il y ait politique. Simplement d’une dictature de la popularité, où l’expression de ressentis émotionnels auraient immédiatement des conséquences pratiques – où les désirs seraient véritablement devenus des ordres.
Dans l’ombre, il y a bien un “grand horloger” qui a posé les cadres du dispositif, mais celui-ci s’est désormais retiré du jeu. Et si l’on pressent qu’il observe de loin tout ce qu’il se passe, il se garde bien d’intervenir.
La perversité des algorithmes de recommandation
Fasciné par le perfectionnement pervers des algorithmes de recommandation de contenus qui enferme l’internaute dans une bulle ouatée de semblable et d’agréable, l’artiste suédois Jonas Lund décide d’en transposer le mécanisme à l’espace réel. Avec la curatrice Aude Launay, il imagine ce que pourrait être une exposition entièrement basée sur l’expérience de l’usager.
Le protocole élaboré en réponse s’articule autour d’un site web permettant à chacun de formuler le souhait de ce qu’il aimerait voir figurer dans l’espace d’exposition. Avant de pénétrer dans la galerie, le visiteur se sera vu proposer deux QCM lui demandant son avis sur l’art et sur la curation présentés. Il aura ensuite lu et accepté la charte, écrite comme il se doit pour tout contenu louche en (très) petits caractères.
Des caprices subjectifs agglomérés
A cette condition seulement, il se verra autorisé l’accès à l’espace d’exposition, au sol duquel se trouve un énième obstacle : un marquage au sol interdisant d’y pénétrer. Lorsqu’on visite à notre tour l’exposition fin novembre, celle-ci touche à sa fin : l’occasion rêvée d’évaluer le résultat produit par cette “masse critique” de caprices subjectifs agglomérés – le terme, qui donne son titre à l’exposition, désignant la quantité à atteindre pour déclencher une réaction.
Des tableaux de licornes, d’autres d’éléphants roses, des plantes vertes, des confettisau sol, une boule disco, deux ventilateurs (dont un cassé, mais pour le réparer il faut que la masse en formule le choix), une piscine remplie de ballons. On ne peut pas dire que le résultat de ce populisme à outrance soit très concluant.
Précisément, voilà bien le problème et l’ingéniosité du dispositif : impossible de le dire, puisque la critique qui écrit ces lignes, en allant voir, a automatiquement accepté l’une des conditions de la charte. Dont le point 11 stipulait : “Si vous travaillez pour une revue d’art, ou un quelconque média, vous acceptez d’écrire une critique positive de l’exposition.”
Critical Mass Jusqu’au 9 décembre, Ecole municipale des beaux-arts, galerie Edouard Manet, Gennevilliers
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