Alors qu’une guerre de tranchées oppose depuis plusieurs mois le directeur du Magasin de Grenoble, les salariés et la Présidente du Conseil d’administration, l’annulation d’une exposition et les menaces qui pèsent sur l’Ecole du Magasin inquiètent.
Dans un article publié le 23 septembre, nous faisions état de la situation extrêmement délicate, et fort regrettable pour le paysage artistique français, dans laquelle se trouve actuellement le centre d’art du Magasin de Grenoble. Une grève des salariés plus tard et une semaine après la tenue, le 30 septembre, du conseil d’administration qui sous la présidence d’Anne-Marie Charbonneaux n’a pas exclu d’engager une procédure de licenciement à l’encontre du directeur depuis 1996, Yves Aupetitallot, (« une convocation pour une entente préalable a été envoyé à Yves Aupetitallot » confirmait le 7 octobre François Bordry, membre du CA) on peut déplorer plusieurs victimes collatérales au sein de ce conflit ouvert et des accusation réciproques de harcèlement dont se disent tour à tour victimes les salariés du Magasin et leur directeur.
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Annulation ou suspension de l’exposition Zig Zag confiée à Michel Giroud ?
La première c’est l’exposition « Zig Zag » qui sous le patronage de Michel Giroud, spécialiste des avant-gardes et de Fluxus, devait ouvrir en février 2016. « le conseil d’administration du MAGASIN a pris la décision d’annuler l’exposition « Zig-Zag made in France, – poètes artistes – Artistes poètes Inventions découvertes – 1946-2016 » et de restituer au Centre National des Arts Plastiques la bourse de recherche qui m’avait été attribuée », a ainsi fait savoir dans un communiqué de presse daté du 5 octobre l’historien de l’art Michel Giroud avant de s’interroger : « Au moment où la représentation nationale examine un projet de loi pour garantir la liberté de création et de programmation artistique, comment un conseil d’administration peut-il ne pas respecter l’indépendance des professionnels et comment peut-il faire aussi peu de cas du travail et de l’engagement des artistes ? ».
Il rejoint ainsi le directeur du Magasin Yves Aupetitallot qui dans une lettre ouverture à la ministre de la culture s’inquiétait déjà d’une possible ingérence de son conseil d’administration en matière de programmation artistique. « Je vous informe par la présente que le bureau du CA du Magasin a porté à l’ordre du jour de la session du 30 septembre prochain l’examen de la programmation artistique de l’année 2016 qui sera soumise à l’approbation de ses membres (….) Permettez-moi d’attirer solennellement votre attention sur cette violation de l’essence même des politiques culturelles publiques” écrivait-il dans ce communiqué auquel la présidence du CA, Anne-Marie Charbonneaux avait répondu, le 24 septembre, en déclarant : « Le Conseil d’administration du MAGASIN-Cnac récuse totalement l’allégation selon laquelle il interviendrait dans la programmation artistique du lieu. Conformément à ses missions, il doit, dans un contexte financier tendu et un climat social particulièrement dégradé, s’assurer que la programmation artistique est soutenable ». Déclaration que la décision d’annuler l’exposition de Michel Giroux semble aujourd’hui nuancer.
« La situation est plus complexe » commente de son côté une source proche du dossier qui préfère garder l’anonymat : « l’exposition de Michel Giroux n’est pas annulée mais suspendue suite à une altercation avec une salariée du Magasin qui a déposé une main courante et est actuellement en arrêt de travail. Nous cherchons désormais un médiateur. » Par ailleurs, le reste de la programmation d’Yves Aupetitallot sera examinée lors du prochain CA le 30 octobre et il n’y a aucune programmation artistique alternative« .
« Le CA n’a pas pu prendre de décision sur la programmation de l’année prochaine car il n’y avait pas de projet précis et financé de la part du directeur qui était absent ce jour là » commente de son côté François Bordry, « nous l’examinerons lors de la prochaine réunion, le 30 octobre prochain ainsi que la possibilité d’envisager un nouveau projet avec Michel Giroux « .
Quel avenir pour l’Ecole du Magasin ?
L’autre victime de cette guerre des tranchées qui fait actuellement rage au Magasin de Grenoble (dont on peut s’étonner que par un hasard de circonstances les archives du site internet soient actuellement « en cours de traitement », de même que certains accès mails ont été bloqués) : c’est l’Ecole du Magasin.
« L’Ecole est en souffrance, la rentrée qui devait avoir lieu dans une semaine a été décalée d’un mois », s’inquiétait déjà Estelle Nabeyrat, coordinatrice de l’école pour la session 2014/2015.
Une pétition (en français et en anglais), adressée à l’équipe du Magasin, au Ministère de la culture et à la Drac Rhône Alpes, circule depuis une dizaine de jours sous cet intitulé « pour l’autonomie de l’Ecole du Magasin » et appelle à trouver des solutions « face au climat actuel qui règne au Magasin, à l’austérité et à la réduction de la politique culturelle en France ».
Quand aux étudiants attendus cette année, sept en tout, en provenance de France, d’Italie, d’Argentine et d’Israël, ils ne cachent pas leur inquiétude. « Nous n’avons reçu que ce communiqué le 22 septembre nous informant » que « la rentrée administrative de l’Ecole initialement prévue le 28 septembre était décalée à une date ultérieure », explique ainsi Georgia René Worms. « La bibliographie qui nous a été communiquée avant l’été avait quelque chose de prémonitoire » poursuit, mi-figue mi-raisin la jeune femme, « c’était presque une boîte à outil pour du curating en temps de crise ! Aujourd’hui, il est aussi de notre responsabilité aujourd’hui de nous organiser collectivement et de prendre cette problématique institutionnelle à bras le corps. Comme une situation de travail en somme ». « Nous n’avons pas vraiment eu des informations « officielles » de la part du Magasin »confirme la commissaire d’expo et doctorante argentine Laura Caraballo, « Nous avons seulement vu les informations qui circulent dans la presse en ligne, et notamment la pétition pour l’autonomie de l’Ecole, que je trouve juste et cohérente. Nous tenons bien évidement à que la session ne soit pas annulée, cela ne paraitrait pas du tout logique, vu le rôle que l’Ecole joue dans le champ des formations non universitaires de commissariat d’exposition en Europe… »
Le petit groupe a tenu par ailleurs à faire passer ce message collectif : « nous tenons à affirmer notre volonté de faire exister la 25ème session du magasin et travaillons actuellement sur un texte à l’intention du centre d’art et du ministère pour affirmer cette position et demander plus de transparence concernant le programme et le recrutement du futur tuteur ou tutrice »
Depuis, une annonce a été diffusée sur le site de Profil Culture pour recruter en urgence un coordinateur qui prendra ses fonctions le 26 octobre, soit la date à laquelle les étudiants feront finalement leur rentrée. « C’est pathétique, rien ne sera donc préparé pour les accueillir et la personne n’aura pas eu le temps de se familiariser avec le fonctionnement et la pédagogie de l’Ecole » s’inquiète une source proche. « L’école du Magasin fait partie intégrante du projet du Magasin » estime de son côté un membre du Conseil d’administration, « Il faut conserver son extraordinaire capital tout en repositionnant sa formation. Lorsqu’elle a été créée elle était la première du genre, aujourd’hui le paysage à évolué« .
Pour bien comprendre les enjeux, il faut rappeler ce qu’est l’Ecole du Magasin qui, depuis l’ouverture du Magasin en 1986, se situe, comme le rapporte Annie Chevrefils-Desbiolles dans un document de 2013 remis à la Direction régionale des affaires culturelles : « aux avant-postes d’une dynamique de professionnalisation dont elle déplace les frontières académiques ».
« Une autre particularité de cette formation est son caractère résolument international » précise encore le rapport. L’Ecole depuis ses débuts a en effet vu passer des personnalités aussi importantes sur la scène artistique internationale que Nicolas Serota, alors directeur de la Whitechapel à Londres, Kasper König, qui crééra ensuite Portikus ; Annette Schindler, directrice du Swiss Institute et de nombreux curateurs français dont certains sont aujourd’hui en poste, comme Keren Detton (actuelle directrice du Quartier à Quimper), Nathalie Ergino (IAC) ; ou Virginie Bobin (Betonsalon).
Mais l’Ecole du Magasin c’est avant tout une vision prémonitoire d’un écosystème où les curateurs occuperont bientôt une place presque aussi importante que celle des artistes, ou tout du moins des historiens et critiques d’art, galeristes et institutionnels.
La preuve en est avec ces manifestations récentes qui font du curateur un acteur à part entière du champ de l’art : si l’on pense à l’exposition « Nouvelles Vagues » organisée à l’été 2013 au Palais de Tokyo qui réunissait une trentaine de jeunes commissaires d’expo, le programme YCI (Young Curators Invitational) qui fait venir pendant la Fiac une dizaine de commissaires internationaux, et encore la création plus ancienne, en lien avec des écoles d’art ou des universités, de programmes dédiés aux pratiques curatoriales comme c’est le cas au Royal College of Art et au Goldsmith College de Londres, à de Appel à Amsterdam ou encore à l’Université Rennes 2 qui a créée en 2005 un master « Métiers et Arts de l’exposition ».
Or, l’Ecole du magasin doit depuis ses débuts composer avec cette difficulté, qui tient à ce que la fonction de commissaire d’exposition n’est pas (encore) un métier. « Il s’agit d’une difficulté originelle et d’un défi » écrit ainsi Annie Chevrefils-Desbiolles dans son rapport : « former à des pratiques en devenir et non à un métier en tant que tel ». Ainsi les « étudiants » ne bénéficient pas du statut d’étudiant. Et les candidats étrangers doivent contracter une assurance privée et obtenir une bourse dans leur pays d’origine pour financer leur séjour .
D’où l’idée, dans les tuyaux depuis plusieurs années, d’un rapprochement entre l’Ecole du Magasin et l’Ecole d’art et de design Grenoble Valence. « Dans les faits, nous travaillons déjà ensemble depuis trois ans. Avec Lore Gablier, en charge à l’époque de la coordination de l’Ecole du Magasin, nous avons défendu l’idée que cette formation non diplômante puisse bénéficier d’un vrai diplôme signé par l’ESAD », explique Jacques Norigeon, le directeur de l’ESAD Grenoble Valence. « Depuis quelques temps les choses sont un peu flottantes, mais à défaut de pouvoir mettre en place ce diplôme tout de suite, nous avons poursuivi nos échanges et signé deux conventions annuelles autour de la création d’un séminaire commun sur la critique institutionnelle, qui réunit les élèves de l’école du Magasin et des étudiants de 4ème et 5ème année sous la direction de Katia Schneller et Dean Inkster, mais aussi de l’organisation d’un workshop sur le site de Valence autour de la diffusion numérique de l’art ainsi que l’organisation d’expositions dans la galerie de l’Ecole dont le commissariat a été confié aux élèves de l’Ecole du Magasin. Une troisième convention est actuellement sur le feu » précise Jacques Norigeon qui se dit aujourd’hui prêt, en cas de poursuite du blocage, à héberger l’Ecole du Magasin, mais dans une logique « pragmatique de main tendue au Magasin« .
Que redire à tout cela sinon que cette crise profonde du Magasin de Grenoble, et qui ne cesse de s’intensifier, affecte un des cœurs historiques de la scène artistique française depuis les années 1990 ? Un autre dommage collatéral pourrait déjà être l’exposition de l’artiste et architecte Didier Fuiza Faustino, programmée à la rescousse et qui a déjà connu plusieurs jours de fermeture suite à une grève d’une partie du personnel. Si elle se poursuit, cette crise pourrait causer plus de dommages collatéraux encore sur la scène française, tant en matière d’école, de curating que de programmation artistique, et donner le signal d’un délitement de ses meilleures structures institutionnelles.
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