Sous la baguette de Philippe Jordan, l’opéra tragique de Berlioz, s’accorde aux visions du Russe Dmitri Tcherniakov pour devenir la chambre d’écho de nos guerres contemporaines.
Levant le voile sur un monde de désillusions, Hector Berlioz nous rappelle avec Les Troyens qu’il existe des temps où toutes les valeurs s’effondrent, tant du point de vue du politique que de celui des sphères de l’intime. En 1863, le compositeur s’inspire de l’Enéide de Virgile pour cette œuvre ultime qu’il dédie au destin des perdants.
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L’opéra monstre se décline en cinq actes pour témoigner d’abord de la chute de Troie et du massacre de ses habitants, puis nous entraîner vers Carthage où les Troyens survivants trouvent refuge avant qu’Enée, leur capitaine, ne fasse d’eux les acteurs du mythe fondateur de l’Italie.
Monter Les Troyens est toujours un événement. Ici, la petite histoire croise la grande, s’agissant d’une œuvre qui fut présentée, sous la direction musicale
de Myung-Whun Chung, par Pier Luigi Pizzi pour l’inauguration de l’Opéra Bastille dont on fête aujourd’hui les 30 ans. Au-delà du rituel d’anniversaire, cette nouvelle production fera date.
Confiée aujourd’hui au chef Philippe Jordan et au metteur en scène Dmitri Tcherniakov, elle témoigne avec brio d’une volonté partagée de rendre hommage à l’éternelle modernité de Berlioz pour en faire le très troublant miroir des désordres géopolitiques contemporains.
Reprenant la forme des bandeaux de breaking news des chaînes d’info en continu, le metteur en scène nous fait vivre la chute de Troie en direct
Inspiré par les images des villes martyres des guerres du Liban, d’Irak et de Syrie, Dmitri Tcherniakov, qui signe la scénographie, représente Troie assiégée en cité moderne où un labyrinthe d’immeubles restés debout conduit immanquablement vers le point de fuite d’un haut mur de béton qui ferme l’horizon. Reprenant la forme des bandeaux de breaking news des chaînes d’info en continu, le metteur en scène nous fait vivre la chute de Troie en direct.
Au départ, tout n’est que joie à l’annonce du siège enfin levé. Seule la visionnaire Cassandre (Stéphanie d’Oustrac) sonne l’alerte d’une issue fatale quand le peuple s’empare du cheval monumental abandonné par l’ennemi.
A la liesse succède le désespoir, car on sait la ruse des Grecs et le massacre
des Troyens qui s’ensuivit.
Syndrome de stress post-traumatique
Les rescapés se retrouvent à Carthage dans un centre médical dédié aux soldats victimes de syndromes de stress post-traumatique. Pour Dmitri Tcherniakov, Didon (Ekaterina Semenchuk) est une victime parmi
les victimes. Il en fait une reine de papier crépon couronnée par ses compagnons d’infortune lors d’un atelier sur la gestion du stress. L’heure n’est plus à l’amour.
Son idylle avec Enée (Brandon Jovanovich) réunit la folie de deux êtres en proie aux délires vécus par les grands traumatisés. Usant de l’esthétique des médias pour camper l’enfer de Troie et se focalisant à Carthage sur les troubles éprouvés par les soldats revenus du front, Dmitri Tcherniakov et Philippe Jordan associent dénonciation et compassion pour relayer le message de Berlioz, révélateur cinglant des tragédies des temps présents.
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