Toile denim, culture populaire et lumière de plateau télé au Palais de Tokyo. Avec cet artiste thaïlandais, nous sommes tous des go-go danseuses.
C’est la toile mythique par excellence. Le jean, de mémoire de chiffons, est sans doute le plus chargé de symboles. Lorsque l’artiste thaïlandais Korakrit Arunanondchai s’en empare, il y a certes à l’arrière-plan le mythe de la frontier et de la jeunesse rebelle d’une Amérique versant americana. Mais le mythe a vécu : délavé, cramé, maculé de peinture ou recouvert de feuilles d’or, le jean, chez Korakrit Arunanondchai, est une toile DIY qui parle de l’hybridation des genres et des identités. A partir d’une jeunesse thaïlandaise de jean vêtue, il est possible de dérouler le fil de toute une histoire : celle de l’importation de la culture occidentale, et la manière dont sa réception a affecté aussi bien la mode que l’art.
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Depuis quatre années, Arunanondchai, né en 1986, construit son œuvre autour d’un personnage fictionnel : un peintre thaïlandais sur toile denim. Ses peintures sont présentées comme un reenactment de la performance de la go-go danseuse thaïlandaise Duangjai Jansaunoi, qui s’était livrée lors de l’émission de téléréalité Thailand’s Got Talent à une session de bodypainting jugée scandaleuse.
Héritier de l’action painting et de MTV
L’exposition au Palais de Tokyo, après le PS1 et la galerie Clearing à New York, met en scène le troisième et dernier volet de l’apprentissage de ce peintre, héritier autant de l’action painting que de MTV. L’invitation sonne juste pour celui qui, à la Columbia University, a été l’élève de Rirkrit Tiravanija, figure marquante de l’esthétique relationnelle dont le Palais de Tokyo a été le creuset au début des années 2000.
Il faut alors s’attendre à pénétrer dans un jardin des délices new age tout droit sorti du cerveau d’un Jérôme Bosch 3.0 converti au bouddhisme. Un espace dense, saturé et recouvert en all-over. Des mannequins portent des tenues en denim déchiré, que l’on retrouve en tableaux accrochés aux murs. Ou plutôt, puisque les murs ont été escamotés, c’est sur des échafaudages qu’ils ont été tendus. Levant les yeux, on voit des palmiers. Et l’on cligne un peu, à cause de la lumière crue : l’éclairage est un éclairage de plateau. Le principe de l’expo, réalise-t-on après coup, est celui-là : la go-go danseuse thaïlandaise, c’est nous. L’expo est une scène, et l’on y tourne un nouvel épisode, le dernier, de cette téléréalité qu’est la vie scénographiée d’Arunanondchai.
Mouvement de métempsychose
Toutes ses expos sont d’ailleurs construites autour d’un film, mêlant found footage et séquences filmées sur place. Ce film est la seconde partie de l’expo, divisée en deux sections, “le Corps” et “l’Esprit”. Comme dans la religion bouddhiste, l’une se nourrit de l’autre, dans un éternel mouvement de métempsychose. Un melting-pot qui, finalement, témoigne tout autant de l’imaginaire de la génération postinternet que d’un mythe très localisé : New York, creuset des mélanges et des hybridations. Et quand bien même ce ne serait qu’un mythe, il en subsiste la toile, éternel support de projections.
Painting with History in a Room Filled with People with Funny Names 3 jusqu’au 13 septembre au Palais de Tokyo, Paris XVIe, palaisdetokyo.com
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