Pour pointer les enjeux de la création en danse contemporaine dans les années 1990, la critique Laurence Louppe parlait d’états de corps. Quelques décennies plus tard, avec les propositions de deux festivals parisiens qui se prolongent cette semaine, “Les Singulier·e·s” au Centquatre et “Everybody” au Carreau du Temple, la proposition se renverse.
On assiste aujourd’hui à un corps dans tous ses états. Performance, chorégraphie, théâtre, cirque : tous les champs des arts vivants sont convoqués à travers des solos principalement, mais pas seulement, qui en disent long sur l’extension du confinement à la représentation du corps dans nos sociétés.
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Pour la première édition du festival du corps contemporain, Everybody, on sort enthousiaste du solo Jezebel de Cherish Menzo qui dynamite avec humour l’image “hypersexualisée du corps des femmes noires dans la culture visuelle et dans les médias“, la référence à la Jezebel biblique, femme séductrice et tyrannique, démontrant s’il en était besoin que le préjugé ne date pas d’hier… Dans I am A Bruja, Annabel Guérédrat fait référence à la bruja, sorcière afro-caribéenne qui mixe des rituels yorubas et de la Caraïbe. Sa performance décline en cinq tableaux des rituels de sorcières où la mise à nu du corps se pare d’une puissance expressive d’une rare intensité.
Aux Singulier·e·s, Vimala Pons présente Le Périmètre de Denver, une merveille d’humour où le pastiche mène le jeu (masques et prothèses la rendent méconnaissables et donnent vie à plusieurs personnages). Elle a gardé son goût pour le strip-tease et le port de poids impressionnants sous forme d’objets exubérants sur la tête. Son effeuillage de multiples couches de costumes, tous identiques, fonctionne au final comme la représentation des couches de protection – identitaires, sociales, intimes – derrière lesquelles on se cache. Le nombre de kilos que pèse son couvre-chef en est le pendant spectaculaire, l’image burlesque et stupéfiante de cette fameuse charge mentale qui nous alourdit à chaque instant et menace de nous faire trébucher.
De son côté, Tsirihaka Harrivel revient dans La Dimension d’après à sa chute de huit mètres lors d’une représentation de Grande, précédent opus de Vimala Pons et Tsirihaka Harrivel, à laquelle j’assistai. La seconde interminable d’une chute que l’on crut mortelle mais dont il sortit indemne, physiquement au moins. C’est sur cette seconde vertigineuse qu’il revient aujourd’hui, à l’aide d’objets, d’images vidéo, de paroles et de chants, la détaillant en dix moments d’états de conscience agrippés à son corps dévalant le vide jusqu’à l’impact du sol. La vulnérabilité et la résilience entraînées dans une lutte éperdue sont les ingrédients imparables de cette histoire qui, pour une fois, se passera de chute.
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