La dramaturge et romancière roumaine Alexandra Badea dresse le constat sans appel d’un quotidien envahi par le flux incessant du marché.
La taille des écrans est déjà un signe. Disposés à angle droit, ils forment dans le fond du plateau une paroi envahissante. A la fois murs et fenêtres ouvertes sur le monde, ces surfaces de projection sont aussi des miroirs où défile une profusion d’images.
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La disproportion entre ces écrans gigantesques saturés de signes et la présence toute simple d’un acteur ou d’une actrice à chaque fois seuls dans le vide du plateau est flagrante. Ce que traduit la scénographie de Philippe Marioge, mais aussi la bande-son omniprésente de Nihil Bordure, c’est l’intrusion dans la sphère privée d’une économie mondialisée où aux notions ordinaires de temps et d’espace se substitue le flux incessant du marché.
Or c’est précisément de cela dont il question dans Pulvérisés d’Alexandra Badea dont la mise en scène de Jacques Nichet et Aurélia Guillet créée en janvier dernier au Théâtre National de Strasbourg rend compte à travers ce contraste troublant entre des êtres humains étrangement rétrécis et des écrans démesurés. “Nos corps vivent à Dakar mais nos voix travaillent en France”, dit un des personnages. Il est superviseur de plateau, basé à Dakar. Tout comme cet autre, responsable assurance qualité sous-traitance, basé à Lyon. Ou cette autre, opérateur de fabrication, à Shanghai. Ou cette autre encore, ingénieur d’études et de développement à Bucarest. Deux hommes et deux femmes désignés seulement par leur profession.
Le texte se présente sous forme de monologues à la deuxième personne, comme si le personnage était observé à la fois de l’intérieur et de l’extérieur. Leurs histoires diffèrent même si elles traduisent toutes un désarroi et une frustration, parfois mêlé de honte et de culpabilité. Avec, malgré les difficultés, une volonté de faire voler en éclats le joug qui les contraint. Cette tension jamais relâchée entre ce qu’on exige d’eux et le souhait de retrouver enfin un quotidien apaisé est pour beaucoup dans l’intensité dramatique de ce texte puissant dont ce spectacle donne une traduction particulièrement dense et soutenue.
Pulvérisés, d’Alexandra Badea, mise en scène Jacques Nichet et Aurélia Guillet. Scénographie, Philippe Marioge. Musique, Nihil Bordure. Vidéo, Mathilde Gerni. Avec Stéphane Facco et Agathe Molière. Jusqu’au 5 avril au Théâtre de la Commune, Aubervilliers (93). Theatredelacommune.com
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