Les 12 et 13 janvier, la Cité phocéenne devient capitale européenne de la culture. Mais, alors que Marseille-Provence 2013 a mobilisé des centaines de millions d’euros en centre-ville, les projets se sont figés aux portes des cités. Reportage dans les quartiers nord, où associations, élus et habitants expriment leur colère contre la capitale de la culture.
« Si ils la renvoient, on les attache. Mais sans violence, on n’est pas des animaux. » Veste à capuche violette, blason des Los Langeles Lakers sur la poitrine, Amico patiente, avec une cinquantaine d’habitants des quartiers nord, devant les bureaux de la direction du théâtre du Merlan. A quelques jours de Noël, ils sont venus soutenir Zora Berriche, attachée aux relations publiques du théâtre, mais menacée de licenciement pour avoir dénoncé le manque de concertation de Marseille-Provence 2013. « Ils n’ont pas compris l’impact psychologique des habitants. Avant de faire un projet, il faut nous contacter et non pas nous duper », s’emporte Fatima Mostefaoui, présidente de l’association de locataires des Flamants.
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Tout commence mi-novembre quand plusieurs associations d’habitants du quartier Saint-Barthélemy décident de se retirer des « jardins possibles », important projet de Marseille 2013, qui devait associer artistes et habitants autour d’ateliers de jardinages. « On met 422 000 euros sur des trucs éphémères« , déplore Karima Berriche, directrice du centre social Agora. « Tu ne peux pas parler de culture si tu ne résous pas de front le problème de l’emploi. » Dans la cité de la Busserine, entre le centre social et le théâtre du Merlan, le chômage atteint parfois 60% chez les jeunes. « En terme de concertation et de rénovation urbaine, on est en panne sur le territoire. Il y a de quoi soulever de la colère. » Pendant que Marseille-Provence 2013 a débloqué 600 millions d’euros de budget en infrastructures, dont 160 millions pour le seul MuCEM sur le Vieux-Port, aucun équipement culturel pérenne n’a été construit dans les quartiers nord. Et la programmation reste souvent modeste voire abandonnée, comme avec les jardins possibles, l’un des trois quartiers créatifs des quartiers nord. « Pour ne pas être en conflit avec les habitants, ils se sont dits qu’ils allaient faire un projet participatif », développe Pascale Reynier, adjointe à la culture du 15e et du 16e :
« Dans les quartiers pauvres, il est plus simple de faire du jardinage que de s’embêter à prendre des gosses qui sont difficiles et faire un vrai travail de qualité. Mais est-ce que le gamin va avoir des cours particuliers avec un prof de théâtre ? Est-ce qu’il va voir des spectacles de qualité ? Non. »
« 400m² de livres pour 100 000 habitants »
Le bilan culturel, sur les 13e, 14e, 15e et 16e arrondissements de Marseille, qui représentent 250 000 habitants des quartiers nord, reste aujourd’hui terrible. Sur les 13e et 14e, pour 150 000 habitants, on retrouve un seul espace culturel public, délabré et fermé le week-end. Le théâtre du Merlan, scène nationale au cœur du quartier, l’un des seuls lieux de diffusion d’importance de Marseille 2013 dans les quartiers nord, est critiqué pour sa gestion élitiste, loin des habitants du quartier. « Le Merlan ne fait pas d’actions culturelles mais de la programmation. Ils n’ont jamais mêlé ce qui peut être de la valorisation des cultures du territoire« , regrette Laurence Ribe, directrice des affaires culturelles des 13e et 14e. « On n’est pas concertés ou sensibilisés. Le théâtre du Merlan, à aucun moment, on n’a été en partenariat avec eux. La seule fois, c’était en spectateur« , confie Farouk, jeune comédien amateur de la troupe Tchek’Art. Sur les 15e et 16e arrondissements, même constat.
« Nous n’avons qu’une seule bibliothèque. 400m² de livres pour 100 000 habitants. Il n’y a pas un lieu en France, ni rural, ni urbain, qui a ce ratio-là pour l’accès aux livres », lâche Pascale Reynier.
Le grand projet de la mairie du 15-16, « Chœurs en lumières », sur le site de l’Estaque, a été retoqué. « On était lucide sur le fait qu’il n’y aurait pas d’argent pour tout le monde. Mais beaucoup d’associations ont été frustrées car elles n’ont même pas eu de retour« , confie un important acteur culturel des quartiers nord.
Preuve du fossé entre la capitale de la culture et les quartiers, des navettes gratuites feront le lien en 2013 entre le centre-ville et le théâtre du Merlan en aller simple. Mais aucune navette n’est prévue pour les habitants des quartiers vers des expos au MuCEM ou à La Belle de Mai, la plupart des transports s’arrêtant en début de soirée. « On a 10 ans de retard pour la desserte des quartiers nord de Marseille », rappelle au besoin Laurence Ribes.
« Les premiers touristes, c’est nous «
A quelques jours de l’ouverture, la communication de Marseille 2013 semble s’être arrêtée à la station Bougainville, dernier arrêt de métro avant les quartiers nord. Difficile de croiser une des affiches « descendez à la capitale », de tomber sur un tract ou une publicité, qui abondent pourtant en centre-ville. Fin décembre, les mairies des 13e, 14e, 15e et 16e arrondissements n’avaient reçu aucune programmation. « Je ne sais même pas si les habitants du territoire savent que Marseille est capitale de la culture » soupire un employé de la mairie des 15e et 16e. « Ils nous disent que Marseille 2013, il faut que ce soit pour les touristes. Mais les premiers touristes, c’est nous », colère Fatima Mostefaoui.
Au sein de l’association Marseille-Provence 2013, on se défend pourtant d’avoir favorisé le centre-ville et accentué un processus de gentrification. « On n’a pas défavorisé le nord. Il y avait plutôt un scepticisme des acteurs culturels depuis le début« , justifie Ulrich Fuchs, directeur adjoint de MP 2013, qui tient à nuancer : « La Parade débutera dans le nord et il y aura des quartiers créatifs« .
La Cité des Arts de la Rue, laboratoire de création, ou Hôtel du Nord, qui propose des balades patrimoniales dans les 15e et 16e, sont autant de projets innovants dans les quartiers nord, portés par des acteurs associatifs qui veulent dynamiser le tissu culturel local, quitte à se faire récupérer par Marseille 2013. Dans les 13e et 14e, l’association Planète Émergences a ainsi reçu 100 000 euros pour des expos ou des concerts de musiques actuelles à la Bastide Saint-Joseph. « Avec Marseille 2013, on a douté 20 fois mais on pense à 2014, on bosse sur la suite« , explique Marie-France Lucchini de Planète Émergences : « Les gens qui travaillent ici sont brillants. Ils n’ont pas l’écho sur le plan national, mais dans les quartiers nord, vous avez des pépites. Le tout, c’est d’avoir la puissance pour faire émerger tout ça. »
Mathieu Martiniere et Robert Schmidt
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