Les dessins de David Rappeneau échappent aux classifications habituelles. Comme s’il fallait contourner tous les académismes pour rendre l’ordinaire d’existences prises entre logos et centres commerciaux.
On ne sait pas qui est David Rappeneau, et peu importe. Ce n’est pas qu’il se cache, mais plutôt qu’il ne s’exhibe pas. David Rappeneau dessine ; et ses dessins, eux, il les montre. A l’automne, l’artiste faisait une première apparition dans le champ visuel parisien. C’était à la foire Paris Internationale, lors d’un duo show avec Lucie Stahl sur le stand de la galerie new-yorkaise Queer Thoughts.
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Déjà, ses représentations mélancolico-torturées d’ados en train de zoner intriguaient. A l’époque, ce n’était pas tant en raison de leur portée intrinsèque que de leur simple présence : dans le contexte d’une foire, a fortiori de début de saison, il est toujours rassurant de pouvoir rattacher les œuvres à telle ou telle catégorie.
Une atmosphère contemplative à la force poignante
Or les dessins de David Rappeneau ne ressemblent pas à grand-chose de connu – parce qu’il n’est ni post, ni néo, et qu’on hésite devant sa maîtrise presque trop poussée, l’émotion à fleur de peau très premier degré qui se dégage de ses compositions, où l’on ne saurait dire s’il faut y reconnaître l’amateur ou l’artiste. Peu importe, bien sûr, et si l’on est gêné, c’est surtout de se prendre un reflet du réel en pleine face.
Une seconde apparition à Paris fournit l’occasion de se pencher davantage sur son cas. Pour son exposition d’été, la galerie Crèvecœur lui consacre un accrochage épuré et précis. Exit la densité bruissante des foires, place à une atmosphère contemplative, où chacun des dessins se détache avec la force poignante d’icônes byzantines ou gothiques.
Ses voyous sensibles ont les yeux dans le vague et le vide à l’âme ; ils baladent leur contrapposto flagada sur les parkings des Carrefour et les places des villages. Le sweat Com8 et le jogging Kappa des garçons, ainsi que le combo string-jean taille basse des filles épousent des corps qui font à tort penser à telle ou telle posture d’une grande peinture d’histoire du Louvre, quand ce n’est que l’art inné de la pose de la génération Instagram.
Un premier degré assumé comme on le trouve dans le rap
Derrière les volets clos, ça fume et ça se prélasse. Enfer et damnation, rien faire et stagnation. Dans la banlieue des années 2000, la dépolitisation a grignoté l’effronterie des 90’s. S’élève la même lamentation autotunée que chez deux autres maîtres ès semi-anonymat, le duo de rappeurs PNL. Eux aussi ont laissé tomber le cynisme postmoderne pour mieux se fondre dans leur sujet.
Ce premier degré assumé, qu’on retrouvait jusqu’à présent dans le rap et, à un moindre degré, dans la mode, prend une forme visuelle qui rappelle le “bad painting” de la fin des années 1970. Lassés de l’intellectualisme froid de l’art conceptuel alors dominant, des artistes se mettaient à peindre avec un mauvais goût assumé, privilégiant la figuration et s’inspirant de cultures marginales.
Le “bad drawing” de David Rappeneau peut s’exécuter à main levée dans sa chambre, comme on enregistre un morceau de rap sur son ordinateur. “J’porte Louis, Gucci, cache-misère”, entend-on dans le morceau Loin des hommes de PNL.
Un « nous”, prisonnier des logos
Chez Rappeneau aussi, les marques cachent la misère. Perrier, H & M, Emerica : pas besoin de luxe mais de symboles reconnaissables, insignes creux arborés en une ultime tentative de reconquête d’un “nous”. Un infra-“nous”, vidé de la superbe de l’ego triomphant, mais un “nous” quand même, qui s’apparente à un style.
Ce que la chercheuse Marielle Macé théorise magistralement dans son livre de l’après-Nuit debout, Styles – Critique de nos formes de vie. Le style, la stylistique de l’existence, écrit-elle, “ne se superpose pas à une présentation de soi ‘en beau”.
Mais en tant qu’ensemble de qualités partagées, “suppose l’identification de schèmes dominants, adjectivables, qui attirent l’attention, font surgir des détails et ouvrent une vie de différences”. Alors, pour créer “des reliefs dans l’apparence, des dynamiques d’écartement, des ponctuations, des ‘valeurs’”, on se pare de logos comme de blasons. Et on dessine.
$+€ jusqu’au 22 juillet à la galerie Crèvecœur, Paris XXe
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