La Gaîté Lyrique accueille cinquante artistes récompensé·es par le prix que l’association COAL remet depuis quinze ans à des œuvres qui s’interrogent sur la crise environnementale.
S’il va de soi que le champ de l’art puise aujourd’hui dans la crise écologique un motif obsessionnel, cette attention a mis du temps à se construire. À la mesure de la tardive prise de conscience de la destruction de la biodiversité, les artistes contemporain·es donnent corps aux dérèglements climatiques, les rendent perceptibles à travers de multiples approches esthétiques, mais aussi à travers des projets participatifs, des protocoles et des rituels, de la recherche-création, des expériences partagées…, tous·tes au service d’un autre rapport au vivant.
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L’engagement exposé
C’est ce chemin artistique qu’accompagne depuis quinze ans l’association COAL, soucieuse de défendre le rôle de l’art dans la transition écologique, et d’accompagner l’émergence d’une nouvelle culture de l’écologie et du vivant. Le prix COAL Art et Environnement contribue notamment à saluer une nouvelle scène artistique de l’écologie. Accueillie par la Gaîté Lyrique, dans le cadre de sa programmation EU.topia, l’exposition COALITION (sous le commissariat de Lauranne Germond, directrice de COAL, et de Sara Dufour, directrice des programmes de l’association), retrace précisément le travail qu’elle a accompli durant ces quinze années en présentant les œuvres d’une cinquantaine d’artistes récompensé·es par ce prix.
L’exposition se veut ainsi une sorte de manifeste de son engagement précis, mais aussi le signe de la vitalité globale d’une scène artistique questionnant la fragilité du vivant. Lauranne Germond précise que “le prix COAL est un observatoire unique, puisque nous recevons en moyenne 400 à 700 dossiers par an depuis quinze ans”. “Il est flagrant que ces sujets se sont largement déployés et que les artistes ont une meilleure connaissance des enjeux. Ils sont nourris par les grands auteurs de notre époque, qui eux aussi ont affiné leur analyse de la crise environnementale. Beaucoup de programmes, de résidences d’artistes en milieux naturels, au sein de laboratoires de recherche, à bord d’expéditions scientifiques se sont développés.”
L’artiste Suzanne Husky, présente dans l’exposition avec des aquarelles sur papier mettant ironiquement en scène des politiques favorables à l’exploitation du vivant en train de planter un arbre au cours d’une cérémonie officielle, explique que “malgré au départ une hostilité surprenante, COAL a soutenu avec une assurance salvatrice des approches artistiques engagées pour la terre, mais aussi en créant toute sorte d’outils de diffusion (plateforme web, expositions, prix, traduction d’artiste étranger·ères)”. Ce faisant, COAL est devenu selon elle “une ressource centrale pour toute une jeune génération d’artistes et de commissaires en mal d’un changement de paradigme et de conversation artistique”.
“Pour la vie”
Pour l’écrivain Camille de Toledo, lui-même impliqué dans les réflexions fécondes sur les nouveaux droits de la nature et la protection du vivant, “il n’y a pas d’art qui ne soit d’emblée une attention au monde, à la vie, aux conditions de la vie”. “Et nos années sont celles partout de la révélation d’une inadéquation entre nos manières de vivre, la terre et ses nombreux autres habitants”, ajoute-t-il. “Il n’y a donc pas d’art, en cette période, qui puisse échapper à ce verdict. Soit par l’ignorance, par l’aveuglement, en nourrissant les causes de la catastrophe, en ajoutant des objets aux objets. Soit en nous éveillant, pour changer nos relations avec la vie. Aujourd’hui, cela revient à un choix assez simple. Pour la vie, ou contre elle.”
“Pour la vie”, toutes les œuvres exposées à la Gaîté Lyrique en font la promesse, en inventant des formes qui signifient et rappellent combien notre rapport aux énergies fossiles conditionne directement le climat et la biodiversité. Lorraine Germond souligne que chaque artiste cherche ici à “infléchir les comportements, en proposant de nouveaux imaginaires, de nouveaux récits, pour créer une prise de conscience, des conduites plus vertueuses, de nouvelles alliances entre les différents règnes, humains, animaux, végétaux pour défendre plus que jamais ce à quoi nous tenons : la liberté et la beauté du monde tel que nous voulons qu’il continue à exister”. Comme si la coalition de l’art et du vivant était tout autant une coalition entre l’artiste et le regardeur, dans une sorte d’alliance collective édifiée sur une sensibilité commune à ce qui nous échappe et à ce qu’il faut sauver.
Écosystème créatif
Cette association de voix, de sensibilités et de luttes s’incarne dès l’ouverture de l’exposition avec les Procession banners 1918-2018, de Lucy+Jorge Orta – tissus fleuris cousus par des détenues célébrant des slogans écoféministes, en mémoire de toutes celles qui furent emprisonnées parce qu’elles luttaient pour obtenir le droit de vote en 1918. Le parcours emprunte ensuite de nombreux chemins thématisés (“face au vertige, cultiver la résistance, cosmovisions, se transformer, l’heure de vérité, au rythme du vivant”...) que le visiteur arpente en saisissant combien chacune de ses parties se relie aux autres. Tous les enjeux se posent et s’exposent dans des interdépendances continues, quand bien même chaque œuvre se suffit à elle-même.
À l’image de l’œuvre manifeste de Sara Favriau, Ceci n’est pas une cabane, qui sculpte une cabane en bois et ses passerelles, pensée comme un espace fétiche, modèle de liberté et de sobriété à rebours des injonctions de la société consumériste. Une cabane installée près du Manifeste du photosynthésisme de Michael Wang, qui fait l’éloge de la “florescence”, alors que le XXe siècle a fait l’éloge de la dépense. “Aujourd’hui, nous déclarons que la photosynthèse est le mécanisme et la métaphore centrale d’une nouvelle ère verte”, écrit-il. Un combat que le duo Art Orienté Objet mène depuis plus de vingt ans, comme le rappellent deux œuvres marquantes : l’Éco-combattant, sculpture d’un militant équipé contre la destruction des arbres en forêt de Tronçais, et Réserve artistique, installation figurant une forme de chapelle, composée d’un banc, d’un porte-cierges et d’une photo de la forêt de Fontainebleau martyrisée.
La destruction du monde vivant et végétal génère de nombreuses autres œuvres, dont l’installation vidéo, spectaculaire et spectrale, d’Angelika Markul, La Mémoire des glaciers, qui consigne l’effondrement d’un glacier au sud de la Patagonie, tel un corps gangrené entouré d’une centaine de sculptures – fantômes du peuple décimé de la Tierra del Fuego. Une esthétique de l’effondrement symbolisée d’une manière plus pop par Martin Le Chevallier dans sa magnifique sculpture d’une voiture rouge engloutie dans le sol (Ophélie), ou de manière plus ludique par le collectif Hehe qui avec Prise en charge, active dans l’espace de la Gaîté un nuage de fumée s’échappant d’une prise électrique. Comment conjurer alors la catastrophe qui nous menace ?
Se reconnecter au vivant
En se transformant déjà soi-même, suggèrent des artistes adeptes de gestes alternatifs, de démarches de reconnexion à la fois somatiques, sensorielles et spirituelles avec le vivant, comme Sandra Lorenzi, qui invite à se relier aux fougères, à Laurent Tixador saluant les plaisirs dionysiaques avec une flûte de pan de 11 mètres de long, bricolée à partir d’une plante invasive, la canne de Provence, de Shivay La Multiple, qui célèbre l’esprit de la calebasse (À la recherche du fruit ligneux : ciel qui parle), ou encore de Feipel et Bechameil soucieux d’inventer des refuges en céramique pour oiseaux migrateurs menacés.
Par l’activation de nos sens, par l’élan poétique, par l’enchantement du réel, une conception du monde se recompose, à la manière des haïkus d’Alex Ceccetti, qui nous interpellent avec sa forêt de papiers peints. Se mettre au rythme du vivant, de ses cycles, de ses pulsations, de ses mystères mêmes, tout cela les artistes y travaillent, en espérant, autant qu’en imaginant, voir renaître un monde à l’unisson de leurs coalitions.
Coalition, 15 ans d’art et d’écologie. Gaïté Lyrique, Fabrique de l’époque, jusqu’au 2 juin 2024.
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