Par ses interventions radicales sur l’espace muséal, Hans Schabus interroge le visiteur et modifie ses repères. Un appel à la désobéissance ?
Faire disparaître le pavillon autrichien de la biennale de Venise sous une charpente monumentale et ainsi barrer l’accès de ce bunker fortifié aux visiteurs des Giardini. Creuser un trou dans son propre atelier pour rallier les canalisations viennoises. Dissimuler la façade de l’Institut d’art contemporain de Villeurbanne (IAC) sous une palissade dont la crête reproduisait les envolées d’une partition de Strauss. Assiéger, aujourd’hui, et toujours à Villeurbanne, les salles de l’IAC et les soumettre à la tension d’une chaîne d’acier qui ronge les cimaises et désagrège, aux encoignures, le plâtre et les arêtes en aluminium.
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Cette prise d’assaut vandale (mais loin d’être iconoclaste) des espaces dévolus à l’art – pavillons nationaux, ateliers, centres d’art et jusqu’au sacro-saint white cube -, Hans Schabus en a fait son cheval de bataille. Comme si le champ de l’art constituait un terrain miné qu’il fallait sans cesse contourner, esquiver ou anéantir pour ménager de nouveaux espaces vierges susceptibles d’être colonisés. Pas un hasard alors si le motif de l’expédition et ce portrait subliminal de l’artiste en mercenaire constitue le deuxième point d’ancrage de l’oeuvre protéiforme de ce Viennois né en 1970.
A l’IAC de Villeurbanne par exemple, dans l’une des salles périphériques épargnées par le « gel des lieux » prescrit par la présence du cordon métallique, Hans Schabus retrace au mur, à l’aide de cartes copiées/collées et de relevés topographiques, une série d’excursions urbaines fictionnelles. D’autres pièces, comme cette collection de timbres classés par couleur (une oeuvre intime puisqu’elle lui vient tout droit de son enfance mais que l’artiste décontextualise et mondialise en l’intitulant Welt, « Monde ») ; ou ces carcasses de caravanes couchées sur leur flanc (dont on voit ainsi le dedans comme le dehors), évoquent en creux et symboliquement le déplacement et le voyage.
Quant au trajet, bien réel, des deux squelettes en résine de mammouth et de stégosaure amputés l’un des pattes, l’autre de la tête : il les a conduits d’un parc d’attractions de la banlieue parisienne à un centre de loisirs berlinois avant d’être « sauvés » par l’artiste, de faire escale à Paris pour l’édition 2010 de la Nuit blanche et de finir leurs jours dans le labyrinthe de l’IAC.
On sent bien que ce qui intéresse Schabus dans ces pérégrinations imaginaires ou physiques, c’est ce moment de bascule, cet état de passage, bien plus que le point de départ ou la destination. En intervenant massivement sur les lieux d’expositions, l’artiste contraint le spectateur à se maintenir en équilibre, à cheval sur une position indéterminée : face à la palissade, doit-il passer son chemin ou tenter de la franchir pour voir ce qui se passe derrière ? Ce périmètre de sécurité qui met tout le centre d’art sous tension, doit-il le respecter ou au contraire transgresser cet interdit manifeste et se faufiler au coeur de l’espace banni ?
Claire Moulène
Nichts geht mehr jusqu’au 24 avril à l’Institut d’art contemporain de Villeurbanne
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