Le peintre rennais, qui relia abstraction et figuration avec une même verve dionysiaque, s’expose à la galerie Perrotin. Loué par André Breton, il résistera néanmoins toute à vie aux écoles, traditions et autres systèmes.
Qu’il dépeigne une farandole de diablotins orgiaques ou une composition au lyrisme géométrique, Yves Laloy use du même système de représentation. Dans le corpus du peintre breton, né en 1920 à Rennes et mort en 1999 à Cancale, les deux cohabitent harmonieusement, et participent d’une même vision du monde, parcouru d’élans rythmiques dionysiaques qui entraînent tous les éléments du cosmos dans la même danse de Saint-Guy et font valser les lignes, tressauter le langage et loucher l’œil de la raison apollinienne.
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Au sein d’une œuvre entreprise au tournant des années 1950, les deux parties, pour le dire vite la figurative et l’abstraite, s’augmentent l’une l’autre. À vrai dire, ces distinctions s’effacent rapidement, tant ce rythme-là d’ensemble, moins une petite musique qu’un ronflement caverneux, noie ces pâles tentatives d’ordre pour quiconque se tiendrait dans le même espace qu’ouvre les toiles de l’artiste.
Au-delà du visible et du surréalisme même
D’Yves Laloy, l’écriture de l’histoire retenait jusqu’alors surtout ses affiliations avec le surréalisme. Il faut dire que de l’aventure, il fut placé au frontispice : lorsque paraît la réédition de la somme Le Surréalisme et la Peinture (1965) de son pape auto-proclamé André Breton, c’est, en couverture, la reproduction du tableau Les Petits Pois sont verts…, les petits poissons rouges… que réalisa Yves Laloy en 1959 qui l’orne.
Au sein de la rétrospective que lui consacre la galerie Perrotin dans ses deux espaces de la rue de Turenne et de Matignon, le tableau figure en bonne place. Au sein de deux sphères, l’une rouge, l’autre bleue, sur fond mauve, les petits poissons en question ont été disposés de sorte à tracer les contours d’un visage. La paréidolie opère, l’effet doucement loufoque également, tandis que le jeu de mot adopté en titre est décliné en lettres enfantines aux couleurs du spectre coloré.
Rapprochements aléatoires d’où sourd la beauté : le principe d’Yves Laloy s’y tient, tout autant que celui du surréalisme. Pour Breton, initiant son opus sur l’art en ces termes, “l’œil existe à l’état sauvage…” et Laloy est l’un de ces artistes qui sait voir “au-delà du visible”. Pourtant l’intéressé, lui, s’il sera un compagnon de route de l’aventure, également exposé par l’écrivain à la Galerie La Cour d’Ingres à Paris (1958), ne se rangera jamais à aucune école – pas même la plus irrévérencieuse de toutes.
Une quête personnelle sur la crête des étiquettes
De la légende dorée d’Yves Laloy, on sait qu’il fut descendant d’une longue lignée d’architectes rennais, qu’il le deviendra à son tour, avant qu’il ne doive quitter ville, métier et famille suite aux lettres d’injures qu’il se délectait à envoyer au préfet. Il partira alors à vélo, à la recherche de civilisations perdues, sera emprisonné comme espion en Égypte, embarquera à bord d’un bateau pêcheur en Terre-Neuve et décrétera, quelque part entre ces péripéties que tant qu’à faire, autant devenir artiste.
S’il aura soin de se tenir à l’écart du monde de l’art institué, ou du moins, de louvoyer entre ces grands centres et événements mondains, il n’en sera pas moins à la tête d’un corpus prolifique : au total, 500 peintures, ainsi qu’un manuel de près de 2000 pages, méditations sur “la Beauté et ses à-côtés”, que les maisons d’édition se décourageront de jamais publier. En 2014, le musée des Beaux-Arts de Rennes lui dédiera sa première rétrospective institutionnelle, et conserve aujourd’hui cent-vingt de ses tableaux – dont certains ont été prêtés pour l’exposition à la galerie.
Parmi les cinquante toiles rassemblées au sein de la double exposition Visions figure également une autre de ses œuvres déjà phares. Il s’agit de Tel et faune et moi dès queue possible (1959-1960) : mêmes jeux de mots, même figuration paillarde – ou païenne –, Breton comparant, à cet égard, la représentation du peintre à celle des tableaux de sable réalisés par les Indiens Navajos. Lorsqu’elle fut exposée lors de la Biennale de Rennes de 2018, la toile voisinait harmonieusement avec les moulages en résine de jambes orphelines de Jean-Charles de Quillacq, né pour sa part en 1979.
Plutôt qu’une bizarrerie contextuelle d’époque, on regarde en effet Yves Laloy dans sa primordiale subjectivité et c’est par ce regard précisément qu’on le reçoit comme contemporain : par sa résistance à se laisser subsumer par aucun mouvement, par son opiniâtreté à tracer sa route facétieuse par-delà les assignations à résidence, quelles qu’elles soient.
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