Dessinateur lié à la scène du Pop Art américain, Steve Gianakos reste mal connu en France. Une exposition au musée des Beaux-Arts de Dole comble enfin son manque de reconnaissance.
Moins reconnu que ses compatriotes dessinateurs Robert Crumb ou Peter Saul, Steve Gianakos participe de l’histoire épique du dessin américain incisif et libre apparu dans les années 1970. Figure du Pop Art américain, il fait même partie des collections du MoMA, Guggenheim et Whitney Museum de New-York. Soutenu en France par la galerie Semiose, l’artiste, né en 1938, longtemps complice de Roy Lichtenstein, expose pour la première fois dans une institution muséale française, en l’occurrence le musée des Beaux-Arts de Dole, quelques-unes de ses œuvres les plus marquantes. Amélie Lavin, directrice du musée et commissaire de l’exposition, Who’s afraid of Steve Gianakos ?, a rassemblé 80 peintures et œuvres sur papier réalisées entre 1980 et aujourd’hui, permettant de mesurer la cohérence, en même temps que l’éclectisme formel, d’un travail plastique difficile à situer dans l’histoire visuelle, entre le pop et le punk.
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C’est dans cette articulation et cette tension entre ces deux démarches esthétiques distinctes, voire opposées, que s’ajuste la dimension de cette œuvre inclassable. Souvent rattachée à ses origines pop, dans ses prémices et ses intentions – la chronique joyeuse et provocatrice de la culture populaire –, elle s’en détache immanquablement, à la fois par une ironie plus sombre que simplement désinvolte, et par un goût marqué pour la tradition surréaliste. “Je veux être irresponsablement drôle, sans me préoccuper des conséquences. Comme dans un jeu d’enfant“, avoue Steve Gianakos, qui se considère avant tout comme un satiriste.
Briser la bienséance
Satiriste signifie chez lui ne rien respecter, surtout pas le bon goût, les codes de bonne conduite, les règles mêmes de l’architecture visuelle. De la cruauté de l’enfance – surtout pas innocente – à la manière d’assigner la féminité à des codes outrés – les gros seins, la cervelle d’oiseau, la consommation de coke… –, Gianakos joue à dépasser les bornes, comme s’il assumait, par le dessin, son tempérament de sale gosse, prêt à tout pour être à jamais irrécupérable. Il se joue de tout, y compris de l’artiste pop (lui-même au fond), retrouvé mort avec ses clés de voiture dans une toile en noir et blanc, exposé sur fond bleu à l’entrée de l’exposition.
“Ce sont toutes les valeurs politiquement correctes de l’Amérique puritaine –de l’Occident puritain – qu’il s’amuse à déminer, à nous faire exploser à la figure dans ses collages provocants, réjouissants, qui paraissent parfois plus punk que pop, précise Amélie Lavin. “Erotisme et cruauté, tendance Max Ernst plutôt qu’Antonin Artaud, Gianakos prend un malin plaisir à dézinguer tous les codes et toutes les valeurs du bon goût et de la bonne conduite pour dérouler une parade de Freaks“, ajoute-t-elle.
Au-delà des motifs de ses dessins sans foi ni loi, leurs titres mêmes, souvent à rallonge, soulignent une aspiration surréaliste chez l’artiste, proche du “non sense“ anglais, au point que l’on songe parfois à l’œuvre de Glen Baxter. “Vers minuit, le tartare de bar avait été mangé“ ; “elle était incapable d’être chef d’Etat“ ; “regard de braise, sourire boudeur et beauté plastique“ ; “sa plus grande qualité était d’être mal élevée“ ; “elle rata son entretien d’embauche à cause de son arrogance“ ; “elle rêvait de rencontrer un beau joueur de volley-ball“ ; “ses genoux jouaient des castagnettes“ ; “son goût pour le champagne était peut-être de nature politique“…
Trash, érotique et sanglant
Si tous les codes et l’imaginaire de la bande dessinée et de la culture populaire des années 60-70 transpirent dans ses dessins, l’art d’en tordre le cou et d’enfoncer les clous du mauvais goût détourne Steve Gianakos de la tradition d’un dessin apaisé et délicat. Son tropisme “trash, érotique et sanglant“ n’en fait pas pour autant un dessinateur déstructuré, livré à l’anarchie de ses pulsions et à la furie de ses vices. La sobriété de ses traits, le minimalisme de ses formes, la composition de ses sujets, le jeu sur les aplats de couleur parfois, confèrent à son œuvre un statut ambivalent et unique ; comme si la sauvagerie de l’esprit mal tourné s’incarnait dans une forme secrètement gracieuse. A l’image de ses portraits de femmes, qui semblent inspirés autant de Picasso que de Mondrian. Chez Steve Gianakos, le goût du grotesque et de la farce noire se perd aussi dans l’élan coloré des formes harmonieuses. Il n’y a au fond que Gianakos lui-même pour avoir peur de son ombre. Les autres en rient ou s’en émeuvent.
Who’s afraid of Steve Gianakos ? Musée des Beaux-Arts de Dole Jusqu’au 24 septembre
A lire : l’excellente revue, Pleased to meet you, numéro 4, consacrée à Steve Gianakos
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