Dans une mise en scène savamment épurée, Florient Azoulay et Xavier Gallais condensent deux récits de l’écrivain en errance amoureuse dans Istanbul.
“Deux grands yeux fixés sur les miens (…) des prunelles vertes, de cette teinte vert de mer d’autrefois chantée par les poètes d’Orient.” Comment ne pas tomber sous le charme du regard d’Aziyadé ? Florient Azoulay et Xavier Gallais adaptent et mettent en scène deux récits de Pierre Loti, Aziyadé (1879), considéré comme son chef-d’œuvre orientaliste, et Fantôme d’Orient (1892), qui prend la forme d’une ode funèbre.
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https://www.youtube.com/watch?v=LOtx_m8hmww
Pour l’un comme pour l’autre, l’auteur, officier de marine, puise à l’autobiographie en retravaillant les pages de son journal tenu lors des escales de la flotte à Istanbul.
Rêve et tourment
Aziyadé témoigne de l’idylle de Loti avec une jeune femme originaire du Caucase, dont il tombe éperdument amoureux après l’avoir aperçue derrière les grilles du harem d’un vieux dignitaire turc. Fantôme d’Orient acte, dix ans plus tard, le retour de l’écrivain et sa quête des traces laissées par celle qui, lasse de l’attendre, a choisi de mourir au nom de l’amour qu’elle avait pour lui.
C’est le tourment d’un rêve récurrent qui conduit Pierre Loti à revenir dans cette ville qu’il se plaît à nommer Stamboul.
“Depuis que je l’ai quittée, constamment je suis poursuivi en sommeil par cette vision ; toujours la même : mon navire fait à Stamboul une relâche inattendue, rapide, furtive ; ce Stamboul revu en songe est étrange, agrandi, déformé ; en hâte, je descends à terre, avec la fièvre d’arriver jusqu’à elle, et mille choses m’en empêchent, et mon anxiété va croissant à mesure que passe l’heure ; puis tout de suite vient le moment de l’appareillage, et alors, sans avoir seulement rien retrouvé de sa trace égarée, j’éprouve tant d’angoisse que je me réveille.”
Epopée intime
Profondément hypnotique, le seul en scène qui condense les deux récits renvoie à l’onirisme des forces de l’inconscient dont les énigmes nous mettent sans cesse à l’épreuve. Certains textes appellent à être portés à la scène de la manière dont les peintres s’adonnent à l’art de la miniature. Apparaissant dans un simple halo de lumière, Xavier Gallais focalise les regards sans faire mystère des outils techniques utilisés pour nous entraîner dans l’aventure. L’acteur va demeurer assis.
Sur ses genoux, le petit ordinateur qui sert de régie lance les paysages sonores d’une bande-son qui sous-tend avec un réalisme délicat l’épopée intime. Tout près de ses lèvres, un micro cisèle le grain de sa voix avec une infinie douceur et l’on s’abandonne à son écoute comme à celle d’un guide. Dans une langueur qui semble s’affranchir des contraintes du temporel, les mouvements de ses mains s’accordent alors à l’impossible espoir de Pierre Loti d’enlacer une dernière fois le fantôme de l’être tant aimé disparu.
Le Fantôme d’Aziyadé d’après Pierre Loti, adaptation et mise en scène Florient Azoulay et Xavier Gallais. Jusqu’au 1er mars, Lucernaire, Paris
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