Sous l’impulsion de son directeur Vincent Goethals, pas moins de cinq spectacles des Estivales du Théâtre du Peuple de Bussang sont dédiés à Shakespeare. Sur la scène vosgienne, l’imagination prend le pas sur la révérence.
L’anniversaire des quatre cents ans de la mort de Shakespeare sert de fil rouge à cette édition des Estivales à Bussang, dans les Vosges. En réunissant à son affiche cinq spectacles qui lui sont dédiés, le festival s’amuse avec beaucoup de liberté d’un parcours aventureux dans l’univers shakespearien. Une opportunité pour décliner les manières d’aborder l’œuvre de l’auteur en multipliant les propositions iconoclastes et les formes théâtrales contemporaines.
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Avec un tel programme, le rendez-vous initié il y a plus de cent vingt ans par Maurice Pottecher (1867-1960) fait plus que jamais salle comble et le Théâtre du Peuple porte comme toujours magnifiquement son nom. Sans faire de chichis, la foule qui se presse y rejoint ses places en s’installant au coude à coude sur des bancs de bois spartiates qui lui donnent des allures d’église laïque dédiée au culte du théâtre.
Une apparition irréelle
Tout cérémonial porte en lui la promesse d’un miracle. A Bussang, on sait qu’il s’en produit forcément un durant le spectacle… Ce moment tant attendu de la traditionnelle ouverture des immenses portes du fond de la salle sur la forêt vosgienne. Dans l’odeur des sous-bois, l’apparition rituelle du paysage paraît toujours si irréelle qu’elle se vit ici comme un inoubliable instant de grâce.
En forme d’entrée en matière, le spectacle de l’après-midi se propose de revenir à la lettre de Shakespeare avec Le Songe d’une nuit d’été dans la mise en scène de Guy Pierre Couleau. Une manière de nous rappeler l’incroyable modernité d’une pièce qui, de scène en scène, se délecte à mêler des récits aussi surréalistes les uns que les autres.
D’une querelle entre deux couples d’amoureux à une dispute entre Obéron, et son épouse Titania
On passe ainsi d’une querelle entre deux couples d’amoureux à une dispute entre Obéron, le roi des fées, et son épouse Titania, tandis qu’on assiste aux préparatifs du mariage de Thésée, le duc d’Athènes, avec Hippolyte, la reine des Amazones…
Sans oublier des intermèdes drolatiques où une bande d’artisans, pour plaire à leur duc, a décidé de monter une tragédie en s’improvisant comédiens pour un soir. Une chatte n’y retrouverait pas ses petits. Mais Guy Pierre Couleau mène sa barque avec maestria en tirant des bords avec élégance sur cette mer dramaturgique totalement démontée.
Shakespeare précurseur de la déconstruction théâtrale
L’occasion de rappeler aussi qu’à Bussang comme dans la pièce de Shakespeare, les comédiens amateurs ont traditionnellement leur place sur le plateau. Ils sont douze dans Le Songe… à tirer magnifiquement leur épingle du jeu pour donner la réplique à la troupe des huit comédiens réunie par Guy Pierre Couleau.
En prouvant qu’en son temps Shakespeare était un précurseur de la déconstruction théâtrale chère à notre époque, le metteur en scène déroule une forme de tapis rouge à l’imaginaire très contemporain qui préside à la conception des autres spectacles composant cet hommage.
Inspirée par la figure shakespearienne de Lady Macbeth, Lady First de Sedef Ecer est une pièce contemporaine qui s’inspire de l’actualité et des conflits dans le monde arabe. C’est en 2012 que le directeur des lieux, Vincent Goethals, avait passé une première commande à l’auteur franco-turque ; une pièce d’une dizaine de minutes traitant de la fin du règne d’une première dame. Dans la mouvance des printemps arabes, Sedef Ecer s’était alors inspirée de Leïla Trabelsi, femme de Ben Ali, qui venait de fuir la Tunisie.
Une Mère Ubu en son palais du Moyen-Orient
L’espoir né de ces révolutions s’est depuis transformé en un triste hiver avec l’islamisme. Retravaillant sa pièce pour qu’elle se déploie sur une heure et quarante minutes, Sedef Ecer a élargi le champ de son inspiration à toutes ces femmes qui, dans l’histoire, ont vécu la chute d’un empire aux côtés d’un époux tyran.
Vincent Goethals traite l’insupportable égérie de cette farce cruelle à la manière d’une Mère Ubu assiégée par son peuple dans un palais du Moyen-Orient. Comme il s’agit de calmer les ardeurs de la populace avec une interview exclusive donnée à la télévision, tout se joue sur le plateau dans une mise en scène qui mêle la vidéo et le jeu in situ. Un éloquent chaos d’images pour dire la violence du monde et la difficulté d’en imaginer le futur.
Une professeure transforme en aficionada de Shakespeare une jeune fan de slam
Les trois autres courtes pièces présentées à Bussang sont autant de fantaisies et de digressions. Mis en scène par Vincent Goethals, William’s Slam de Marie Claire Utz s’apparente à une leçon de théâtre où l’on croise une professeure, vieille amoureuse de Shakespeare, qui transforme en aficionada du natif de Stratford-upon-Avon une jeune femme ne jurant que par le slam.
C’est vers un théâtre d’objets que nous entraîne Claire Dancoisne avec son inquiétant Macbêtes, les nuits tragiques. Cette descente aux enfers de Macbeth et de sa Lady se joue sur un simple établi grouillant de cafards, d’araignées et autres scarabées métalliques. Enfin, avec Mon cœur pour un sonnet, la danseuse Aurélie Barré et l’acteur Sébastien Amblard optent pour la poésie amoureuse de l’auteur des fameux 154 sonnets en nous offrant un touchant duo joué et dansé.
La vocation première du Théâtre du Peuple s’ancre sur l’idée de transmission. Avec Shakespeare, la belle ambition de Vincent Goethals est d’en faire une école buissonnière qui privilégie d’abord l’échappée belle sur les chemins de traverse.
Les Estivales du Théâtre du Peuple jusqu’au 28 août, à Bussang, tél. 03 29 61 62 48, theatredupeuple.com
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