Pas d’interrogation dans le monologue intime et bouleversant d’Edouard Louis, mais la certitude d’une classe sociale brisée et une colère sourde, brillamment mise en jeu par Stanislas Nordey.
Ecrit pour le théâtre sur la proposition de Stanislas Nordey, Qui a tué mon père d’Edouard Louis est désormais un spectacle, magnifique, bouleversant, militant. A l’expérience de la lecture s’ajoute la mise en place visuelle et sonore d’une architecture textuelle qui brasse les souvenirs et les repères temporels au gré d’une ligne de force qui la sous-tend et la fonde.
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Dire, et plus encore nommer, ceux qui, de lois en décrets politiques, ajoutent de la souffrance à la souffrance dans les classes populaires d’ordinaire invisibles, inaudibles.
Il est vrai que ce texte a été écrit plusieurs mois avant l’apparition dans l’espace public du mouvement des Gilets jaunes et qu’il résonne d’autant plus fortement aujourd’hui qu’il coïncide avec le projet d’Edouard Louis : “Dans mes livres, ce que j’essaie de faire, c’est de montrer la violence là où elle n’est pas vue ni pensée comme violence.
Toute la violence que mon père a vécue et que j’essaie de dire dans le livre n’était pas perçue comme telle. C’est pourquoi il y a une grande responsabilité aujourd’hui, non seulement de la politique mais aussi de la littérature, du théâtre, du cinéma, de créer des espaces à l’intérieur desquels les gens puissent dire leur souffrance sans avoir honte.
Moi, j’ai écrit tous mes livres contre la représentation qui me semblait fausse, mensongère et violente des classes populaires.”
La multiplication des pères
Sur le plateau, une estrade orangée cadre l’espace de la parole avec, en arrière-plan, la projection d’une photo de village aux maisons identiques. Assis à une table face au mannequin grandeur nature d’un homme tourné de trois quarts dos au public, Stanislas Nordey entame son dialogue avec le père silencieux en revenant sur son enfance.
Plus tard, en scansion avec la musique, les noirs et les lumières qui rythment les séquences du texte, d’autres mannequins seront déposés. Une multiplication de pères qu’on peut envisager aussi bien comme la profusion d’affects et d’images que la mémoire fait ressurgir que comme la vision plurielle de tous les pères que le théâtre restitue depuis l’origine.
Un choix qui, pour Stanislas Nordey, s’accorde avec son désir toujours renouvelé d’articuler le politique au théâtre : “Ce que je trouve magnifique dans le livre, c’est qu’il fait apparaître quelqu’un qui n’est pas aux yeux du monde. Et c’est aussi la figure du père, tout simplement, c’est Agamemnon, c’est tous les pères de l’histoire du théâtre.”
En fin de parcours, une neige tombe des cintres et recouvre le sol, une image poétique qui tranche avec la portée volontairement politique d’une parole qui accuse et nomme tous les hommes politiques dont les décisions ont un peu plus abîmé et ignoré les souffrances de son père. Les responsables directs et qui, pourtant, s’en lavent les mains. La neige, linceul de la justice.
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