Quand on leur parle de famille, les Chiens de Navarre montrent les crocs : leur nouveau spectacle catalogue avec férocité les griefs des familles décomposées.
Avec l’art consommé de mettre la charrue avant les bœufs, Jean-Christophe Meurisse a d’abord entraîné Les Chiens de Navarre dans les sentiers boueux de l’identité avec Jusque dans vos bras, son précédent spectacle, pour glisser aujourd’hui avec délices à sa source fangeuse : la famille. Tout le monde ne peut pas être orphelin : le titre en dit long sur la médisance qui va déferler à tombeau ouvert sur les affres de la vie de famille.
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Un réveillon de Noël qui dérape
Que celui qui n’a jamais connu un Noël pourri leur jette la première pierre. Dans la scène d’ouverture qui démarre au son de Take Five du Dave Brubeck Quartet pendant que le public s’installe de part et d’autre du plateau, la famille attablée qui trinque et mange la dinde en papotant répond à tous les critères de la normalité. Ce qui nous laisse le temps de découvrir le décor très seventies, d’un kitch auréolé d’une vision sous acide qui place une tête de gnou en lieu et place du cerf habituel.
Le reste est à l’avenant… Tout dérape lorsque le père (Olivier Saladin) annonce à ses enfants qu’ils ont vendu la maison et qu’ils s’offusquent de n’avoir pas été consultés du bazardage éhonté du havre de leurs souvenirs. Mais les enfants sont grands, leurs conjoints les accompagnent et les parents estiment ne pas avoir à rendre de compte sur leur désir de faire, enfin, ce qui leur plaît. Ça démarre très fort : “C’est violent”, tance le fils (Alexandre Steiger). “Et quand t’es né, c’était pas violent ?”, rétorque la mère (Lorella Cravotta).
Orgie scatologique, incestueuse et criminelle
Le maître-mot est lancé. Finies les convenances. La prise de bec généralisée met à jour le conflit des générations où les Trente glorieuses s’opposent aux Trente minables. Cette scène d’anthologie propre à déculpabiliser les pires insanités qu’on puisse se reprocher d’avoir un jour proféré n’est pourtant qu’un préambule à l’orgie scatologique, incestueuse et criminelle qui va suivre.
La pièce épouse la logique des rêves et entremêle des époques différentes où les enfants sont encore adolescents, voire nouveau-nés, et les parents finalement rendus à leur vieillesse dépendante ou à leur mortalité. De ce patchwork envisageant avec humour acide et tendresse vache les liens qui se forment ou se détachent entre les membres d’une famille, ressort un sentiment général d’allégresse.
De ce patchwork envisageant les liens familiaux qui se forment ou se détachent, ressort un sentiment général d’allégresse
Celle de jeter les masques pour regarder les choses en face sans sous-estimer leur énormité. D’où l’élément-clé du décor : un cabinet plus grand que nature qui avale les déjections comme les êtres et les recrache sans retenue. “S’il est un lieu dans une famille que tous partagent, c’est bien les cabinets”, constate Jean-Christophe Meurisse.
Là où intimité et proximité ont tendance à se mélanger les pinceaux. Car une fois sur le trône, il s’avère bien sûr que le roi est nu, vulnérable et soumis aux mêmes tracas gastriques que le plus humble de ses valets. Peu ragoûtant, le siège de la famille n’en reste pas moins libérateur…
Tout le monde ne peut pas être orphelin, mise en scène Jean-Christophe Meurisse, compagnie Les Chiens de Navarre, du 26 novembre au 7 décembre, Grande Halle de la Villette, 14 et 15 décembre à Alfortville, 18 au 20 décembre à Cergy-Pontoise. En tournée jusqu’en juin 2020.
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