L’Anticipation à son comble
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Après une poignée d’expositions et d’événements distillés au compte-goutte, la Fondation Lafayette dévoilera enfin au public son nouvel espace. En plein cœur du Marais, rue du Plâtre – entre le BHV et le Centre Pompidou, positionnement symbolique s’il en est – Lafayette Anticipations, c’est son nom, inaugurera le weekend du 10 et 11 mars le bâtiment conçu par l’immense architecte et théoricien Rem Koolhaas et son agence OMA, à qui l’on doit entres autres les espaces de la Fondation Prada à Milan dont la première partie fut ouverte au public en 2015. A Paris, la nouvelle Fondation privée d’un parcours qui compte déjà Cartier, Ricard, Vuitton et bientôt Pinault a été conçue comme une plateforme évolutive de 2500 m2, composée de quatre planchers mobiles. Un bâtiment organique et une « machine curatoriale » pour des usages qui, eux aussi, sont moulés autour de cette fonction que lui assigne François Quintin, son directeur : offrir un espace de travail flexible à partir duquel l’artiste puisse interroger sa pratique. Rassemblant des curateurs venus des arts plastiques, de la performance mais aussi de la mode et du design, la première exposition de Lafayette Anticipation sera consacrée à l’artiste américaine Lutz Bacher née en 1962 dont on redécouvre depuis quelques années les ready-made infusés de l’esprit de la révolution identitaire et sexuelle des années 1970. Anticiper, c’est montrer d’abord montrer les précurseurs – quelle que soit l’époque depuis laquelle ils s’expriment.
• The Silence of the Sea de Lutz Bacher, du 10 mars au 30 avril à Lafayette Anticipation à Paris
Désobéir pour mieux régner
Désaccordée, la nouvelle saison d’expositions du Palais de Tokyo ? En désaccord plutôt, indisciplinée, désobéissante, grinçante et stridente. D’abord par son parcours même, qui intègre à la réflexion ce trait indéniable de la répartition des espaces : on s’y perd, on sature. Parmi les huit artistes invités de Discorde, Fille de la Nuit, les propositions diffèrent : certains le sont dans le cadre de prix (Massinissa Selmani ; Marianne Mispelaëre), d’alliances inter-institutionnelles (Georges Henry Longly, qui investit également le musée Guimet), d’autres dans le cadre d’interventions in situ (Anita Molinero ; Daiga Grantina ; Nina Chanel Abney). Mais les deux expositions principales intègrent elles-aussi ce principe d’ouverture et de pluralisation : à un Neïl Beloufa qui, avec L’ennemi de mon Ennemi, reproduit le fonctionnement d’un moteur de recherche et saupoudre le résultat d’artistes invités et de ses propres œuvres répond la proposition L’un et l’Autre du duo Kader Attia & Jean-Jacques Lebel, ensemble hétérogène d’œuvres, d’objets, de masques, de films et ici aussi ouvert à l’énonciation collective via l’invitation à des proches et amis. Alors que prévaut dans les médias les stratégies de manipulation émotionnelle visant à rassembler derrière un leader charismatique, quel que soit son bord, il appartient plus que jamais à l’art de réintroduire la discorde afin de ménager, dans cet espace consacré qu’est le musée, les réflexes de discernement individuel. Dans les arcanes bétonnées du Palais de Tokyo, apprendre à se frayer son propre chemin.
• Discorde, Fille de la Nuit, jusqu’au 13 mai au Palais de Tokyo à Paris
Hospitalité et jeux de langue
Les temps sont à l’art politique. Les grands gestes, les slogans, banderoles, peintures d’histoires et objets historiquement signifiants placés sous vitre. Tel est le panorama, bien que soumis à relecture critique, que propose la saison en cours du Palais de Tokyo avec le duel des titans qui fait voisiner l’exposition de Neïl Beloufa et celle conçue par Kader Attia en collaboration avec Jean-Jacques Lebel. Aux artistes se saisissant directement de l’histoire ou de l’actualité et de ses zones d’ombres, la Galerie-Centre d’Art Contemporain de Noisy-le-Sec propose une approche pour ainsi dire de biais. En plaçant l’intégralité de la programmation annuelle sous le thème de l’hospitalité, chacune des expositions vient apporter un éclairage à cette problématique sans cependant prendre directement position. Ainsi de l’actuelle exposition La langue de ma bouche conçue comme un duo entre deux jeunes artistes, Hedwig Houben et Jean-Charles de Quillacq. Si l’on avait déjà vu l’une au détour de conférences-performances au FRAC Île-de-France et que l’on se rappelle des cigarettes-baguettes de pain de l’autre colonisant les espaces de sa galerie bellevilloise Marcelle Alix, les réunir fait ressentir le pari sur l’impermanence de toute choses qui les réunit l’un et l’autre. Un certain animisme où objets dialogues et les organes se dupliquent indépendamment du corps qui les accueille. Obligeant les regardeurs à se remettre à l’échelle d’une réalité fragmentée et poreuse où aucune identité ni appartenance n’est fixée, pas même la sienne.
• La langue de ma bouche. Hedwig Houben and Jean-Charles de Quillacq, jusqu’au 24 mars à La Galerie – Centre d’Art Contemporain à Noisy-le-sec
Transmettre, traduire, tisser, recommencer
Tissant sa toile à partir de Paris et San Francisco, la Fondation Kadist est un être tentaculaire. Deux espaces d’exposition et une collection, voilà pour l’infrastructure. A celle-ci viennent ensuite se greffer toute une partie d’événement ponctuels ainsi qu’un réseau d’artistes, curateurs et institutions alliées. A Paris, sur les hauteurs de Montmartre, elle accueillait cet hiver entre ses murs une exposition collective autour du concept élargi d’Europe (State (In) Concepts). Suite logique d’une réflexion ponctuée d’événements et de projections autour de la chute des États nations, la nouvelle exposition se penche désormais sur l’idée d’utopie. Mais ces utopies là, autant le dire tout de suite, ne rêvent plus à l’unisson avec la collectivité. Elles sont d’abord individuelles, ancrées dans une subjectivité. Héritées, partagées et transmissibles, elles sont aussi éminemment mobiles. Loin d’être incompatible, la conception de savoirs incarnés locaux se retrouve chez les six artistes réunis par la commissaire Elise Atangana. Steffani Jemison & Justin Hick, Isaac Kariuki & Tamar Clarke-Brown, Chloé Quenum et Martine Syms se réfèrent tous à des savoirs spécifiques comme forme de résistance à l’imaginaire politique : l’art textile, le dessin ou l’action de tresser deviennent des supports d’écriture et de mémoire alternatifs. A travers un thème dans l’air du temps, l’occasion surtout de se confronter au travail d’artistes peu ou pas montrés en France.
• This is Utopia, to Some (cur. Elise Atangana), du 11 mars au 13 mai à Kadist à Paris
Attirer pour mieux régner
Paris est à nouveau attractive. Et le dire n’est pas forcément énoncer une banalité. Dans le champ de l’art, ce furent d’abord les project-space, ces lieux auto-gérés par des artistes et des curateurs, qui apportèrent la première vague d’air frais : nouvelles têtes, nouvelles cliques, nouveaux lieux poussant jusqu’à la périphérie. Puis vinrent les artistes qui commencèrent à y rester et pour certains, même à venir s’y installer. Manquait jusqu’alors que la ville, et la scène, soit également attractive pour des acteurs du marché extérieur – qui ne feraient pas qu’y défendre leur pré-carré ou soutenir artificiellement un tissu local. L’installation d’une antenne de la galerie Freedman Fitzpatrick, basée à Los Angeles, envoie en cela un signe fort. Au 8 rue Saint-Bon, à quelques encablures du Centre Pompidou, la galerie a inauguré son espace format mini (densités parisiennes obligent) avec une exposition de Matthew Lutz-Kinoy, également exposé en parallèle au Consortium à Dijon. Le symbole est de taille : l’artiste, auparavant basé à Los Angeles, vient de s’installer à Paris. Pour le duo de galeristes, Paris se trouve désormais dans une situation comparable à Los Angeles dans les années 2000, terre d’exode pour les artistes français ces dernières années s’il en est. A savoir, dans le sillage du Brexit, une ville en transition, dont l’atout n’est plus tant (ou pas seulement) l’héritage culturel mais bien cette nouvelle stature à asseoir. Une revitalisation qui sera à la mesure de sa capacité d’accueil.
• Fooding de Matthew Lutz-Kinoy, jusqu’au 24 mars à la galerie Freedman Fitzpatrick Paris
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