Chaque mois, retrouvez dans “Les Inrockuptibles” le meilleur des expositions à voir en France.
Enfant prodigue
C’était il y a un an tout pile. Quelque part, au fil d’un escalier de service du Palais de Tokyo, ambiance béton brut et bas-côtés interlopes, Cyprien Gaillard installait une série de petits polaroids au sein de la carte blanche dédiée à l’Allemande techno-punk Anne Imhof. De quoi ranimer les rumeurs : un retour se profilerait pour l’artiste français et berlinois d’adoption, celui qui imprima peut-être plus que tout autre son romantisme noir à l’entrée, dans les années 2010. Avec, déjà, s’élevant depuis les espaces interlopes, une mélopée d’écorché vif, solipsiste et abrasif. La confirmation est désormais là, et doublement telle : pour la première fois, le Palais de Tokyo et Lafayette Anticipations s’allient. Résultat, HUMPTY/DUMPTY, proposition bicéphale intitulée d’après le personnage en forme d’œuf d’Alice au pays des merveilles, qui voit Cyprien Gaillard renouer avec ses thématiques de prédilection : le temps qui passe, les ruines actuelles, le sublime de l’ordinaire, la tristesse contemporaine.
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Au programme donc, sculptures, vidéos, installations, plongée en apnée dans l’histoire (de plus en plus lissée et rénovée) de Paris et artistes invité·es à diffracter les échos d’une mystérieuse histoire d’automate ressuscité.
Cyprien Gaillard. HUMPTY/DUMPTY, du 19 octobre au 8 janvier au Palais de Tokyo et à Lafayette Anticipations à Paris
Niki, Nanas, Tarots
Niki de Saint Phalle (1930- 2002) est de ces artistes à la fortune maudite. Fortune, déjà, parce que tout le monde la connaît : dans l’espace public, elle est présente, rare femme à ne pas s’excuser d’exister, par ses “Nanas” hautes en couleur et voluptueuses – celles, notamment, qui s’ébrouent depuis la Fontaine Stravinsky de Jean Tinguely, face au Centre Pompidou. Maudite, ensuite, parce que tout le monde, précisément, croit la connaître. Certes, il y a les “Nanas”, déclinées également en multiples objets, jouets gonflables, parfums, bibelots, mais dont la signification est cependant bien plus trouble qu’il n’y paraît – la galerie Mitterrand revenait l’an passé sur leur histoire.
Mais au-delà d’une œuvre à succès, presque une signature ou un sigle, se trouve tout un parcours de vie et de création d’une femme férocement libre. Les débuts, la voyant tirer à la carabine comme d’autres peignent, mais également la fin de sa vie, ces années 1980 et 1990 que mettent à l’honneur Les Abattoirs : la création de jardins, d’œuvres d’art totales, à l’instar du Jardin des Tarots qui initie le parcours à Toulouse.
Niki de Saint Phalle. Les années 1980 et 1990. L’art en liberté, du 7 octobre au 5 mars aux Abattoirs, Musée – Frac Occitanie à Toulouse.
Cinéma hypnagogique
Anaïs-Tohé Commaret fait des films, dont elle renouvelle le langage avec le regard qui sied à sa génération : celle née dans les années 1990, qui traversa intimement tout un registre médiatique arpentant l’intervalle entre série TV et TikTok. Urbain, connecté, accéléré, marqué de réalités sociales qui néanmoins résistent, accrochent et adhèrent. Cela prend chez la Franco-Chilienne, diplômée des Beaux-Arts de Paris en 2019, les formes du documentaire-fiction, infusé de réalisme magique, tel que décliné au travers de la série Disparaître, initiée en 2021 et qui se poursuivra durant 11 épisodes.
À la Galerie Édouard Manet, à Gennevilliers, et par l’entremise de la plateforme curatoriale Extramentale dédiée à l’adolescence, la série, que l’on visionnait au creux d’une paume, prend désormais une forme exposée. Les courts-métrages y seront mis en espace, au sein d’une installation, un lit, conçue en collaboration avec le jeune sculpteur Konstantinos Kyriakopoulos.
InnerVision. Anaïs-Tohé Commaret, en collaboration avec Konstantinos Kyriakopoulos, du 8 octobre au 10 décembre à l’École municipale des Beaux-Arts – Galerie Édouard Manet à Gennevilliers.
Seule sur scène
Suzy Lake ? Faites le test autour de vous. Le nom, à l’aura cinématographique certaine, n’éveillera sans doute pas d’associations. À peine, chez les féru·es de photographie, une vague association avec Cindy Sherman. Pourtant, dès la fin des années 1970, Suzy Lake est une artiste de premier plan. Cindy Sherman, et plus largement, la Pictures Generation, n’aurait certainement pas existé·es sans elle. Or, comme bon nombre d’artistes femmes, on redécouvre aujourd’hui la profondeur d’un travail précurseur, engagé, sans concessions.
L’Américaine, qui émigrera très tôt au Canada, s’empare de la photographie, qu’elle oriente vers la performance. Activiste et militante, elle est féministe et vise donc à évacuer tout romantisme de son médium : si elle performe le genre, dévie les stéréotypes, ou confronte la vieillesse, son corps est une arme, prolongement d’un poing levé dès lors outillé par la force de frappe des images reproduites.
Suzy Lake. On Stage, du 14 octobre au 23 décembre à la galerie mfc – michèle didier à Paris.
À nos ami·es
On aurait pu parler de camarades, puisque l’exposition démarre par les avant-gardes historiques, alors qu’il s’agissait de faire front commun, ensemble, contre une société petite-bourgeoise et réactionnaire. Mais si l’aventure, et la grande fresque historique, débute par le Dadaïsme et le Surréalisme, elle serpentera entre les époques pour s’acheminer jusqu’à notre siècle. Alors c’est le terme plus neutre, plus ouvert, d’“amitié” qui a été choisi pour décliner, au Mucem à Marseille, une autre histoire de la modernité artistique.
De Picasso à Picabia, de Brecht à Filliou, de Spoerri à Kaprow ou de Burroughs à Gysin, le propos concerne certes les collaborations, mais tente de les capter à un niveau plus profond, plus ambigu également. En regardant l’histoire par le prisme de ces amitiés créatives, c’est aussi la création individuelle et le mythe du génie solitaire qui en prend un coup – quand bien même les manuels auront, jusqu’ici, tenté de nous inculquer le contraire.
Amitiés, créativité collective, du 16 octobre au 13 février au Mucem, Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée à Marseille.
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