Chaque mois, retrouvez dans “Les Inrockuptibles” le meilleur des expositions à voir en France.
Empreintes de genre
Chaque été, les Rencontres d’Arles investissent la ville et la région alentour. Cette année, les expositions sont au nombre d’une quarantaine : trop nombreuses pour les subsumer sous une thématique d’ensemble, elles essaiment plurielles. Comme à chaque édition, les échos qu’elles tissent entre elles résonnent toujours, par reflet tout autant que par contact avec le réel, avec le monde tel qu’il va, vient et se pense. Dans le prolongement de la grande exposition collective “Masculinités” de la précédente édition, cette année aura à nouveau lieu une investigation sur la représentation du genre, sous le prisme cette fois des pionnières des avant-gardes.
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Le long d’un fil thématique qui se déroule en pointillés, on trouvera comme points forts : l’exposition-fleuve réunissant près de 200 œuvres de la collection Verbund en Autriche sous le titre “Une avant-garde féministe des années 1970”, l’exposition solo de Babette Mangolte, cinéaste et photographe expérimentale dans le New York des années 1970 qui accompagnera l’essor d’un genre alors naissant, ou encore celle consacrée aux corps des femmes âgées par le duo Susan Meiselas et Marta Gentilucci.
Les Rencontres d’Arles 2022 – 53e édition, jusqu’au 25 septembre
Cœurs à vif
Il est souvent question, dans les discours contemporains et jusqu’à plus soif, du besoin de réparation des sociétés occidentales. La plupart du temps, il en va d’un regard objectifiant, figeant ses sujets dans une position de victime, et laissant aux institutions le monopole du soin. La première exposition solo des cinéastes et artistes Caroline Poggi et Jonathan Vinel s’avance sous un titre qui, énigmatique et poétique, prend néanmoins à rebours cette tendance. En la nommant “Cautère”, où l’on entend spontanément la cautérisation, mais dont le mot emprunte à la science et désigne l’agent chimique ou physique qui réalise l’action de cicatrisation, c’est déjà un retournement du regard qui s’opère.
Ici, le duo, invité au Frac Corsica, présente trois vidéos et étend à son tour l’invitation à onze comparses ou compagnons de route artistes. Accordée à la texture révoltée et rêveuse à la fois de la palette émotionnelle qu’ils distillent en l’implantant au plus près de banlieues pavillonnaires en déshérence et autres débris post-capitalistes éclairés d’une aube étouffée, la proposition est un regard obstinément auto-défini, sécessionniste et obstiné, adressé à une jeunesse qui rêve, crée et éructe encore et malgré tout.
Cautère. Caroline Poggi & Jonathan Vinel, du 8 juillet au 16 octobre au Frac Corsica à Corti
Dépecer l’histoire, reconstruire la mémoire
Ibrahim Mahama est, du haut de sa trentaine, l’un des artistes les plus en vue du moment. Le Ghanéen arrive donc à Nantes, où le Frac l’expose en solo pour la première fois en France, auréolé d’une reconnaissance internationale qui l’aura vu exposer deux fois à la Biennale d’Art de Venise, en 2015 et 2019, ainsi qu’à la dOCUMENTA à Cassel et Athènes en 2019. Là, ses interventions, celles qui également le firent connaître, consistaient en l’assemblage de sacs en toile de jute, ceux-là même qui servirent au transport du cacao puis du charbon et portent à même leur épiderme râpé et élimé les marques physiques et sémantiques des corps laborieux : sueur, ADN, mais également inscription des noms des porteurs.
Abordant de front, mais par la matérialité la plus immédiate, les économies coloniales et leurs mutations néolibérales, son geste visait à rendre méconnaissables les lieux publics en les enveloppant de ces peaux-toiles rapiécées à partir des sacs, manière également de subvertir leur symbole de pouvoir au fil des invitations à exposer au sein de ces institutions. À Nantes, celui qui, à Tamale au Ghana, et en parallèle de sa pratique, a fondé en 2019 l’espace Red Clay Studios et le Savannah Cultural Arts Center, ainsi que des lieux d’éducation et d’exposition, présente un nouveau volet de sa pratique. Soit un ensemble de fragments architecturaux témoignant de la post-indépendance de son pays, combinés à des tissus wax issus de son activité de collecte : un autre système de valeurs s’écrit, dans un geste pictural qui, en même temps, reconstruit autant d’institutions portables, mobiles et auto-définies.
Ibrahim Mahama. The Memory of Love, jusqu’au 2 octobre au Frac des Pays de la Loire à Nantes
Expression libre
C’est en 2005, à 80 ans, que Mirdidingkingathi Juwarnda Sally Gabori commence à peindre, elle dont l’histoire personnelle se relie à celle de son peuple, les Kaiadilt. Dernier peuple côtier de l’Australie aborigène à être entré en contact avec les colons européens, l’artiste et sa famille auront, longtemps, mené une vie en communion avec la nature, secoués dans les années 1940 par les missions d’évangélisation et les catastrophes naturelles qui les jetèrent en exil.
La lutte sera longue pour faire reconnaître les droits territoriaux aborigènes, interdits de parler leur langue et de leurs terres. Sa peinture, alors, fresques abstraites monumentales, portent en elles le témoignage intime des lumières changeantes de son île natale, portée par une veine expressionniste où la couleur est toujours signifiante et le geste chevillé au corps. L’exposition, qui rassemble une trentaine de ses peintures, est la première de l’artiste hors de l’Australie.
Mirdidingkingathi Juwarnda Sally Gabori, jusqu’au 6 novembre à la Fondation Cartier à Paris
Spectres atomiques
La surface des toiles de Luc Tuymans est d’une chromie exsangue caractéristique de la manière précise et spectrale à la fois du peintre anversois. On pense au passage du temps sur des tirages photographiques, venu les laver de leurs contrastes, ou encore à la superposition rétinienne de tant d’images qu’aucune, vraiment, ne parvient à émerger nette. Puisque c’est ici de peinture dont il s’agit, les deux registres d’association ne s’annulent guère : il en va d’une mémoire qui vacille, celle de la Seconde Guerre mondiale, tout autant que d’une attention de l’image, banale, médiatique, distribuée.
Peintre d’images inscrivant ses sujets au plus près de leur matérialité actuelle, Luc Tuymans renouvelle l’approche de son médium, la peinture donc, en l’extirpant du seul champ de référence de la tradition de la grande peinture académique, gestuelle, expressive, subjective. L’opération, néanmoins, est en accord avec son sujet, cette coupure que marquent l’holocauste et l’impossibilité de prolonger les traditions existantes. Pour sa première exposition à Paris, les motifs se réfèrent ici aussi par superpositions palimpsestiques à la guerre (plus précisément, les prémisses de la bombe atomique) tout en y insérant des motifs glanés sur YouTube, connectant à son habitude peinture, médias et mémoire.
Luc Tuymans. Eternity, jusqu’au 23 juillet à la galerie David Zwirner à Paris
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