Plasticiens, critiques, commissaires : le choix des Inrocks
Dorothée Dupuis, 35 ans, critique d’art et commissaire d’exposition
Après avoir dirigé la résidence d’artistes Triangle à Marseille, Dorothée Dupuis s’était fait la malle direction Mexico, nouvelle plaque tournante de la scène artistique internationale où elle est aujourd’hui un relais pour nombre d’artistes européens. Là-bas, elle a monté la revue en ligne Terremoto (pour tremblement de terre) qui lorgne du côté de ses prédécesseurs européens, les très avertis Mousse ou Kaleidoscope, mais version Amérique du Sud. Elle explique : “Il n’existait pas de plate-forme équivalente, dont l’épicentre se situerait à Mexico mais qui permettrait de parler de ce réseau (du Brésil à la Colombie, en passant par la scène de Los Angeles, des territoires qu’elle a beaucoup parcourus, au gré de résidences et d’expositions – ndlr).” Très énergique, elle rêve désormais d’une version bimédia, avec une à deux fois par an la publication d’un digest des meilleurs posts et des papiers de fond qui permettent de sortir du feu de l’actualité. Toujours connectée à la scène française où elle revient régulièrement produire des expos (dont celle de Mariana Castillo Deball, fin juin au Musée de Sérignan, lui-même dirigé depuis peu par une jeune femme, Sandra Patron), Dorothée Dupuis explique que “changer d’écosystème permet de relativiser considérablement ce qu’est le centre et ce qu’est la périphérie”. CM
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Fabien Giraud, 35 ans, artiste
Avec son acolyte Raphaël Siboni, il a inauguré l’an dernier un feuilleton qui commençait par la fin avec 2045, entièrement filmé par des drones, et dans lequel il était question du fameux point de singularité où la machine prendra le dessus sur l’homme. Ensuite il y eut 1997, qui démarrait pile au moment où Kasparov, le génie des échecs, capitulait devant le Deep Blue d’IBM. On le retrouvera avec Siboni lors de la prochaine Biennale de Lyon avec un nouvel épisode. En attendant, Fabien Giraud poursuit de son côté ses activités pas vraiment en solitaire puisque, avec un groupe de jeunes théoriciens de l’art et de philosophes, il a cofondé une plate-forme de recherche et un journal, Glass Bead, qui emprunte son nom au titre d’un roman culte de l’écrivain pré-décroissant Hermann Hesse. Proche de Quentin Meillassoux, il est dans le champ de l’art l’un des vecteurs de transmission de la réflexion sur l’état de nature et le non-humain. CM
Philippe Rahm, 48 ans, architecte
Imaginez un “parc climatique” où vous iriez, selon la saison, profiter de recoins tempérés, ou plus humides, ou plus secs, ou plus chauds, et plus ou moins pollués aussi. Un parc qui ne s’organiserait pas selon des principes urbains mais se construirait sur des données écométéorologiques et proposerait des situations climatiques variables… Architecte suisse installé à Paris, professeur à la prestigieuse université d’Harvard, Philippe Rahm repense les bases mêmes de l’architecture à partir de ces questions de climat, de température, de circulation de l’air d’une pièce à une autre, etc. “Des constructions d’atmosphère.” En 2008, il avait fait partie de la poignée d’architectes invités à la Biennale de Venise pour leur capacité à réinventer l’architecture. Cette année, il vient de publier un très beau livre, Météorologie des sentiments, à la fois roman poétique et petit manifeste de sa vision du monde. En 2016, il ouvrira au sud de l’île de Taiwan son tout premier “parc climatique”. Le futur, ce sera pour lui de passer plus intensément de la théorie à la construction. Et pour nous l’occasion de revoir notre façon d’habiter. jmx
Frédérique Aït-Touati, 37 ans, chercheuse et metteur en scène
Derrière le sociologue Bruno Latour, elle était aux manettes, fin mai, du grand raout organisé au Théâtre des Amandiers : une reconstitution anticipatrice du futur sommet sur le climat qui se tiendra en décembre à Paris. Avec son CV à rallonge et pas vraiment orthodoxe (normalienne, chercheuse au CNRS et professeur associée à Sciences Po Paris, elle a également fondé une compagnie de théâtre en 2004), elle est l’une des voix les plus singulières dans cet entre-deux instable à mi-chemin de l’art et du politique. Et l’une des têtes pensantes de ce grand remue-ménage intellectuel que représente l’entrée dans une nouvelle ère géologique mais aussi sociale et économique : l’anthropocène. CM
Neïl Beloufa, 30 ans, artiste plasticien
Sa dernière expo, à la galerie Balice Hertling à Paris, s’intitule Neoliberal ; avant cela Neïl Beloufa avait imaginé l’installation Les arabes et les services, Prix Meurice 2013. En plus de ce sens de la formule, il faut le créditer d’une certaine dextérité en matière de gestion d’espace. Qui fait de ses expositions des sitcoms grandeur nature où la narration éclatée s’écrit par écrans et webcams interposés, ou l’arrière-cour d’une fabrique tentaculaire et bordélique qui laisse volontiers sa mécanique apparente. “J’aime quand tout se vaut : les calques bleutés comme les films, le vidéoprojecteur ou les plantes vertes”, nous expliquait-il, il y a peu, avant d’ajouter : “J’ai une logique de pensée 2.0. Je suis fasciné par la non-hiérarchisation des infos, le fait qu’il n’y ait plus de mémoire et que tout s’aplatisse.” CM
François Piron, 43 ans, commissaire d’exposition
Il a cofondé la galerie-librairie la plus internationale de la scène parisienne, castillo/corrales en 2007 à Belleville, et coordonne le post-diplôme de l’Ecole des beaux-arts de Lyon. François Piron prendra les rênes de la prochaine Biennale de Rennes et promet des “filiations inattendues” et une biennale “intensificatrice d’énergies”. En ligne de mire, un programme théorique et esthétique qui prolonge un chantier entamé l’an dernier lors du prix Ricard dont il avait la charge avec l’équipe de castillo : “Considérer l’art comme un geste humain et repenser son statut, sa valeur d’usage, son rapport au réel.” “Les artistes réagissent aujourd’hui aux données abstraites (économiques, sociales, politiques) qui nous environnent et conditionnent nos mouvements. Comment diriger aujourd’hui notre attention sollicitée de toutes parts, matière première de l’économie ?”, s’interroge le commissaire. Eléments de réponse à la rentrée 2016, juste avant que ce grand érudit s’attaque, avec son ancien complice Guillaume Désanges, à “l’esprit français” des années 70 et 80. Une exposition générationnelle qui sera présentée à la Maison Rouge, à Paris. CM
Camille Henrot, 37 ans, artiste plasticienne
Lion d’argent de la Biennale de Venise 2013 avec son histoire de l’univers en treize minutes, l’artiste française Camille Henrot, désormais installée à New York, déploie une lecture encyclopédique et déhiérarchisée du monde.
Tu as dit un jour que tu aimais “les malentendus et la posture de l’ignorant”…
Les savoirs se présentent comme des autorités, or ce qui domine ma pratique, c’est la curiosité. J’aime assez l’idée d’être toujours étranger à son propre domaine de spécialisation. C’est une liberté de l’artiste de n’être
pas tenu d’avoir raison et il doit user de cette liberté de penser de manière déraisonnable. Aujourd’hui, on conçoit de moins en moins l’histoire comme
une vérité ou une construction mais
plutôt comme un espace que l’on peut parcourir, analyser, feuilleter et dans lequel peut surgir le désordre.
Quel rôle devront jouer les artistes dans les prochaines années ?
Je n’imagine pas un changement radical entre le rôle que les artistes vont jouer dans le futur et celui qu’ils ont joué dans le passé. La seule chose qui, peut-être, serait un changement, c’est la difficulté, à l’échelle individuelle, de conquérir un espace d’intimité. Que ce soit pour les artistes ou pour les individus, ce qui disparaît avec cet espace d’intimité, c’est aussi un espace de liberté et d’imprécision, un espace où les choses peuvent encore changer et où elles existent en dehors du langage et de l’image. Or la création artistique, c’est précisément un jaillissement hors du langage – ou en tout cas l’invention d’un langage en soi. L’artiste doit pouvoir offrir un espace situé hors des contingences réelles mais qui en même temps les reflète. L’espace de l’exposition et de l’œuvre, que l’artiste propose,
devrait être un espace dans lequel il soit possible (à l’échelle individuelle, pour les spectateurs) de reconstituer une expérience personnelle, une expérience qui fortifie l’idée du subjectif et la possibilité d’un espace intime. L’expérience commune au travers du monde numérique est une expérience de l’anxiété où le rapport avec la société est extrêmement permanent et direct. Resituer un espace dédié à la méditation et à la contemplation est un projet artistique en soi. propos recueillis par CM
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