Parmi les multiples raisons qui ont déterminé, contre toute attente, la réussite du front républicain au soir du second tour des élections législatives mettant en tête le Nouveau Front populaire, le rôle de la “société civile”, des réseaux militants, des forces associatives ou des milieux artistiques et intellectuels semble avoir joué un rôle clé.
Parasitant les appareils politiques de la droite et du centre droit, préférant délaisser ce front républicain au nom de leur rejet obsessionnel de la France Insoumise, ces forces citoyennes ont rappelé l’attachement d’une grande partie du pays à sa tradition républicaine et non xénophobe, traduisant en même temps l’autonomisation de beaucoup d’électeur·rices lassé·es d’écouter les sermons du cercle de la (dé)raison.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
On verra bien ce qui succède à ce grand ouf de soulagement, dont rien ne permet de dire non plus qu’il ouvre une période de stabilité politique et de relance facile d’une politique de gauche. Mais ce qu’on peut au moins dire ici, c’est que dans cette divine surprise, la culture a pris toute sa part. Modeste mais réelle.
Une mobilisation générale
Par des prises de parole fortes de créateur·rices, par des initiatives collectives disséminées ici et là, dans des théâtres, festivals, centres d’art ou musées, du théâtre du Nord au Festival d’Avignon, à travers une “nuit d’union démocratique, de force et d’espoir” – initiée par son directeur, Tiago Rodrigues – dans la cour d’honneur, jusqu’au Palais de Tokyo, via un rassemblement – “ce qui est perdu est perdu à jamais” –, une mobilisation générale du monde de la culture a eu lieu, en dépit des signes de mollesse qu’on lui attribuait il y a quelques semaines.
Pourtant, il reste en ces lendemains de victoire de la gauche un léger parfum de défaite au sein du paysage culturel. De plus en plus de voix se font entendre pour dire combien le monde de la culture dans toute sa diversité serait complice de l’ascension du Rassemblement national en France (un peu plus de 10 millions de votes quand même !).
Cette complicité s’expliquerait par sa supposée déconnexion avec les électeur·rices RN, qu’il ne représenterait pas assez dans ses œuvres, alors même qu’une grande part de la création théâtrale et cinématographique tend précisément à penser le temps présent. Les électeur·rices RN détesteraient les spectacles dits élitistes, évidemment trop subventionnés par l’État selon les détracteur·rices d’une politique publique pourtant ouverte à tous.
Efforts et mauvaise foi
Comme le rappelait heureusement une solide enquête du service culture de Libération, début juillet, ce procès simpliste fait au monde de la culture ne tient pas deux secondes lorsqu’on mesure les efforts de nombreux·ses créateur·rices contemporain·es, pour représenter les fractures de la société française, saisir les tensions qui la traversent, imaginer d’autres voies utopiques, déployer des rencontres publiques et des débats, défendre la fonction de la médiation, comme le signe d’une attention fine à la demande de spectateur·rices extérieur·es aux codes parfois opaques de la création contemporaine.
La fracture culturelle, qui existe évidemment à plein d’égards, procède moins d’une volonté de la part des acteurs culturels d’exclure de leur sphère des citoyen·nes en colère que d’une exclusion sociale générale, conditionnée par des mécanismes politiques qui déterminent ce sentiment d’abandon. La fracture politique dépend surtout des politiques de relégation sociale (santé, fiscalité, redistribution, services publics en berne…) et territoriale (transports, désindustrialisation…). Il existe tant de motifs sociologiques et économiques permettant de comprendre ce qui se joue dans l’ascension du RN qu’accuser le monde de la culture d’attiser le feu nationaliste relève de la mauvaise foi.
Soucieux de comprendre au contraire ce qui se dérègle dans les territoires, ne cédant pas sur “la plus haute exigence artistique et culturelle pour le plus grand nombre”, comme le proclamait dans les années 1970 Antoine Vitez au théâtre national de Chaillot, les créateur·rices mesurent, pour beaucoup, la responsabilité qui leur incombe de ne pas laisser croire qu’il·elles vivent loin des autres, au-delà des nuages du malaise français.
Édito initialement paru dans la newsletter Arts/Scènes du 9 juillet. Pour vous abonner gratuitement aux newsletters des Inrocks, c’est ici !
{"type":"Banniere-Basse"}