À quelques jours du premier tour des élections législatives, où en sont le monde de la culture et les artistes qui le composent ?
La petite musique d’une impuissance du monde culturel contre la montée de l’extrême droite circule depuis des jours dans le débat public. En dépit de quelques tribunes, il est vrai que sa mobilisation contre la menace de l’arrivée du RN au pouvoir reste discrète depuis 15 jours. De manière inversement proportionnelle à cette probabilité insensée, elle déserte l’espace public, faute de pouvoir peser sur la réalité.
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Cette frustration, qui va jusqu’au refoulement de sa propre parole, constitue en soi un fait inédit dans l’histoire culturelle hexagonale, pourtant si riche en prises de position d’artistes et de metteur·ses en scène. Accusé·es à tort et à travers (à tort surtout) de livrer en surplomb des leçons de morale à des citoyen·nes fâché·es, ils et elles seraient désormais tenu·es de se taire, ayant intégré cette idée aussi farfelue que sinistre que les “citoyens en ont marre de leurs peurs, de leur narcissisme, de leur sectarisme, de leurs dénis”, selon Ariane Mnouchkine, dans un aveu édifiant d’une étrange défaite.
Derrière la lucidité teintée d’amertume d’une relégation de la parole du monde culturel dans les marges du discours public, faut-il pour autant renoncer aux diverses formes d’intervention, et surtout faire le deuil de la croyance dans le pouvoir transformateur et émancipateur du théâtre et des arts ? Le jeu de la création devrait-il se faire en douce, en catimini, sans déranger personne, en prenant acte de son inutilité ? Évidemment, non. Le monde culturel a bien compris qu’il faut résister à cette double injonction, tout en comprenant ce qui la guide.
Pour un réveil de la culture
Comme nous le confiait il y a quelques jours l’historien des idées François Cusset, la situation politique du monde exige la participation de tous·tes, y compris des acteur·rices culturel·les : “On a besoin du peintre pour modifier nos préceptes, du géomètre pour nous réapprendre l’espace, de l’intello pour arriver à lire entre les mots et leurs mensonges, de l’écrivain pour imaginer autre chose, du danseur pour se souvenir que le corps n’oublie pas, etc.” Et surtout, par-delà les gestes de résistance, par-delà même l’illusion que le théâtre changera à lui seul le monde, il faut s’accrocher à l’idée qu’il change potentiellement le monde de chacun·e, comme le suggérait Olivier Neveux dans son essai paru en 2019, Contre le théâtre politique (La Fabrique), dont le titre ironique signifiait la nécessité d’un théâtre à la hauteur des enjeux politiques.
S’il est convenu aujourd’hui de considérer naïfs et inefficaces les spectacles dit “engagés” de manière littérale, les metteur·ses en scène les plus inventif·ves sont aussi les plus intransigeant·es et les plus attentif·ves au pire qui arrive : ils et elles savent que “le combat est en lui-même le but du théâtre”, comme le soulignait dès ses débuts Julien Gosselin, qui vient d’être nommé directeur de l’Odéon-Théâtre de l’Europe. Thomas Jolly rappelait alors que Jean Vilar avait pensé le Festival d’Avignon pour en faire un lieu de réparation, un espace pour “réunifier un pays divisé par la guerre”.
À quelques jours de l’ouverture de la nouvelle édition de ce dernier, en plein choc électoral, sous la direction avisée de Tiago Rodrigues, à quelques jours aussi de la prise de fonction de Julien Gosselin à l’Odéon, le théâtre public n’aura que l’épreuve de force politique comme justification de son existence. On peut faire confiance au monde culturel pour ne pas céder sur son désir politique, qui, même effacé des tribunes médiatiques, saura s’élever contre la misère des temps à venir. Sa vocation en est le garant même.
Édito initialement paru dans la newsletter Arts et Scènes du 25 juin. Pour vous abonner gratuitement aux newsletters des Inrocks, c’est ici !
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