Moins de 10 % des contributeurs de Wikipédia sont des femmes. Pour remédier à ce déséquilibre, la campagne Art+Feminism a lancé l’an passé une action mondiale. Pendant un weekend, des bénévoles se rassemblent lors de séances d’écriture collective pour créer ou améliorer un maximum de pages concernant les femmes, le féminisme et la culture. Le week-end dernier, la première édition française a eu lieu à Paris.
“What is (are) Feminism(es) ?”, interroge une inscription au marqueur noir sur le mur. Le féminisme, les féminismes : d’emblée, on est placé au cœur de la complexité. Pourtant, ce n’est pas un énième débat sur les dilemmes terminologiques du féminisme qui s’est tenu le week-end dernier, les 7 et 8 mars, à Lafayette Anticipation à Paris. Mais le premier “éditathon” en France, un marathon de publication Wikipédia qui vise à accroître la visibilité des femmes sur internet.
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Le temps d’un weekend, l’événement lancé l’an passé par la campagne américaine Art+Feminism, rassemble des bénévoles désireux de remédier activement aux gender gap (écart entre les sexes) que l’on constate sur l’encyclopédie en ligne. En 2014, plus de trente lieux avaient participé à l’éditathon, avec plus d’une centaine d’entrées nouvelles créées sur les femmes, le féminisme et la culture.
Ce dimanche 8 mars à Paris, à l’occasion de la journée des droits des femmes, c’est une vingtaine de bénévoles que l’on retrouve installés autour d’une table et sur des coussins. L’événement Facebook, largement relayé, précisait : “Pendant deux jours et une nuit, rejoignez-nous pour former une communauté éphémère d’action et de réflexion autour des possibilités critiques de l’encyclopédie en ligne. Amenez votre ordinateur, votre câble d’alimentation et vos documents !”
A leur arrivée, chacun des participants a bénéficié d’une courte formation aux règles de base de Wikipédia – comment rédiger une bibliographie, comment insérer une note de bas de page – et s’est vu remettre une liste de suggestions des articles à créer, des pages à traduire en français, ou encore des contenus à étoffer et à améliorer.
Parmi ces contributeurs en herbe, la plupart sont artistes, commissaires d’exposition, universitaires ou étudiants. Tous, ils ont déjà constaté des lacunes ou des imprécisions sur Wikipédia, sans toutefois avoir été jusqu’à intervenir sur le contenu. Eva Barois de Caevel, commissaire d’exposition indépendante, a choisi de développer et traduire la notice consacrée à Funmilayo Ransome-Kuti, la fondatrice au Nigeria d’un mouvement féministe dont le rôle a été déterminant lors lutte contre le gouvernement britannique – et accessoirement la mère de Fela Kuti. Arrivée à 15 h, elle estime qu’elle passera 4 ou 5 heures sur la notice, qui ne comportait que quelques lignes dans sa version française.
Pour Claire Porcher, historienne de l’art, c’est en menant un travail de recherche sur Sturtevant, artiste américaine et figure clé de l’appropriationnisme dans les années 1970, qu’elle se rend compte de lacunes similaires. Elle nous explique avoir choisi un pseudo Wikipédia neutre pour l’occasion, car selon elle, il vaut mieux que le genre ne transparaisse pas pour que les modifications soient acceptées.
Chacune des deux journées donne également lieu à un débat théorique sous la forme d’une « table longue », un protocole de discussion participatif et convivial autour d’un sujet spécifique. Les thèmes de discussion abordés découlent des problèmes rencontrés lors du processus d’écriture. Par exemple, la question de la féminisation ou non des désignations : faut-il opter pour “une écrivain” ou “une écrivaine” ? Sur ce point, Wikipédia ne tranche pas, et laisse le choix au rédacteur.
C’est aussi, plus concrètement, la question du délicat changement de genre que rencontre Flora Katz, co-organisatrice avec Mikaela Assolent de l’édition parisienne de l’éditathon. Elle a pour sa part a travaillé sur la notice consacrée à Paul B. Preciado, philosophe et commissaire d’exposition. Il y a un mois, celui-ci, né Béatriz Preciado, publiait une chronique dans Libération où il demandait à être appelé Paul. C’était le 16 janvier. Or, explique Flora Katz, si la page Wikipédia anglophone entérinait le changement de prénom dès le lendemain (“Paul B.Preciado, (born Beatriz Preciado)”) la page française, elle, se contentait d’un maladroit “Beatriz Preciado, qui se fait aujourd’hui appeler Paul B. Preciado”.
Faut-il alors, se demande-elle, étendre le pronom masculin à l’ensemble de l’article ? Ou laisser la marque du féminin lorsqu’il est question des livres qu’il a écrit en adoptant le point de vue d’une femme à l’époque où il était Beatriz, comme Testo Junkie ?
A la fin de l’après-midi, l’éditathon touche à sa fin. Au total, plus d’une cinquantaine d’articles, recensés en ligne, auront été édités à Lafayette Anticipation à Paris. Reste à présent, souligne Flora Katz, à surveiller ces pages tous les jours. L’empowerment est une pratique de tous les instants.
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