La fin du monde, c’est maintenant, dans deux expositions postatomiques et posthumaines de Julian Charrière et Lee Bul à Paris et à Saint-Etienne.
Entre Lee Bul, figure pionnière et majeure de la scène artistique coréenne, et Julian Charrière, jeune artiste franco-suisse basé à Berlin, rien de commun. L’une se voit offrir à 51 ans une belle rétrospective au musée d’Art moderne de Saint-Etienne, l’autre présente à 28 ans sa première expo solo à la galerie parisienne Bugada & Cargnel. Rien de commun, je vous dis. Sinon une apocalypse du paysage. Sinon deux expositions qu’on dirait l’une et l’autre inspirées par un roman de J. G. Ballard, La Plage ultime, qui imagine une nouvelle ère née après la bombe H.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
C’est particulièrement le cas de plusieurs œuvres présentées par Julian Charrière (place au jeune) – encore qu’en voyant les images désolées du site d’essais nucléaires soviétique installé en plein désert du Kazakhstan, encore qu’en longeant un frigo où survivent des plantes cryogénisées, on se croirait davantage dans le kolkhoze mortifère du dernier roman d’Antoine Volodine, Terminus radieux. Venu sur des lieux inhabités, filmant cette zone apocalyptique où explosa la première bombe atomique russe, où les essais nucléaires durèrent jusqu’en 1989, où les quelques architectures en béton qui sortent du sol avaient été construites spécialement pour analyser la résistance du béton à l’impact nucléaire, Julian Charrière a aussi réalisé une série de photographies sur lesquelles il a déposé, au moment de leur développement, des échantillons de sable contaminé. D’où des accidents de surface, des parasitages de l’image, traces radioactives qui semblent aussi nous restituer quelque chose de l’explosion. Tout à côté, trois colonnes de pierres s’élèvent dans la galerie : ces Future Fossil Spaces sont composés de briques extraites du désert de sel d’Uyuni, en Bolivie, avec lequel on fait le lithium, matière essentielle du monde connecté et numérique. Du végétal à la ruine nucléaire, des plantes cryogénisées aux fossiles en lithium, le temps passe dans la galerie, de la préhistoire à l’ère anthropocène, d’un monde préhumain à un monde sans l’homme.
Un monde merveilleux, spectaculaire, éblouissant… et renversé
Dans la salle principale du musée d’Art moderne de Saint-Etienne, l’apocalypse façon Lee Bul est visuellement beaucoup plus radieuse. Sur un sol recouvert de miroirs, l’artiste coréenne a déposé plusieurs sculptures monumentales, parmi lesquelles une grotte noire, un vaisseau de verre qui semble pendre du plafond comme un lustre ou encore un habitacle labyrinthique qu’on explore à la manière d’un palais des glaces. La réflection miroitante de tout cet environnement nous installe dans les mirages de la science-fiction et de l’utopie.
Car le monde de Lee Bul est d’abord merveilleux, spectaculaire, éblouissant, mais il est aussi un univers renversé, où se mélangent les catégories du corps et de la machine, de l’individu et de la structure. Le retournement de l’utopie en dystopie est avéré par un chef-d’œuvre de sculpture : Mon grand récit, sorte de maquette de ville et d’autoroutes, tour de Babel rétrofuturiste prise entre la construction et l’effondrement. Si l’installation centrale immerge le visiteur dans un paysage total, une salle annexe déploie une rétrospective véritablement muséale des dessins de Lee Bul : maquettes, projets, story-boards de corps-animaux, de machines fantastiques, de lieux à inventer. L’apocalypse est ici un astre noir qui brille de tous ses feux.
Julian Charrière Polygon, jusqu’au 23 mai à la galerie Bugada & Cargnel, Paris XIXe
Lee Bul jusqu’au 17 mai au musée d’Art moderne et contemporain de Saint-Etienne
{"type":"Banniere-Basse"}