Après avoir annoncé officiellement vendredi 6 octobre qu’elles étaient prêtes à accueillir les réfugiés qui souhaiteraient poursuivre leurs études d’art, les 46 écoles des beaux-arts françaises ont fait le point fin octobre sur ce qui les réunit et ce qu’elles espèrent. Et ont profité de l’occasion pour réaffirmer la complexité de leur position : en prise réelle avec les questions politiques et sociales tout en défendant l’idée qu’elles sont des lieux refuges.
Une semaine après la clôture des Assises des Ecoles d’art qui se sont tenues à son initiative les 29 et 30 octobre à l’Ecole des beaux-arts de Lyon, l’ANdEA vient d’adresser une lettre aux préfets de France : “L’ANdEA – Association nationale des écoles supérieures d’art, représentant l’ensemble des écoles d’art publiques françaises délivrant des diplômes Bac+3+5+8, souhaite contribuer à l’accueil des réfugiés qui rejoignent aujourd’hui notre territoire (…) l’ensemble des écoles s’est dit prêt à inscrire dès 2015-2016 tout étudiant d’art ou design qui, fuyant les conflits, souhaiterait poursuivre en France des études relevant de l’enseignement supérieur sous tutelle du ministère de la Culture et de la Communication. »
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Joignant la carte des écoles supérieures d’art ainsi que les coordonnées de chacun des 46 établissements, l’association affiche ainsi publiquement une position forte largement partagée la semaine passée.
Placées sous le signe ambitieux de « l’école d’art de demain », ces Assises qui ont rencontré un fort succès (avec 450 participants, artistes, enseignants, chercheurs associés et élus venus en masse) ont permis de mettre sur la table quelques-unes des grandes questions qui traversent aujourd’hui les écoles d’art nationales ou territoriales. A commencer par cette équation, laissée ouverte tant elle recouvre toute la problématique des écoles d’art aujourd’hui : l’école de demain doit-elle être un lieu-refuge ou une forteresse de verre, en prise avec le réel ?
Car au-delà du cas précis de l’accueil des migrants, les Assises ont montré combien cette idée d’une école d’art comme refuge pour des pratiques, des enseignements et des positionnement sans équivalent dans l’enseignement supérieur, était encore un marqueur fort. Tandis que dans le même temps, les écoles d’art ont conjointement réaffirmé leur désir d’ouverture sur le monde et un certain nombre de questions politiques comme la lutte contre la discrimination sociale, de genres, la possibilité de se saisir spécifiquement des enjeux de la recherche ou de composer avec le privé tout en imposant ses règles du jeu.
Emmanuel Tibloux, le président de l’ANdEA, répond sur ce point en exergue de ce texte. A Lyon, c’est sur ces mots qu’il ouvrait la première séance plénière : « Vingt ans après la création de l’ANdEA et près de dix ans après les assises de Rennes, voici donc que s’ouvrent aujourd’hui de nouvelles assises des écoles supérieures d’art. Nombreux sont les changements intervenus ces vingt dernières années. Processus de Bologne, passage à l’EPCC, LMD, masterisation, structuration de la recherche, ESAD sont autant de termes et d’acronymes apparus récemment et qui jalonnent la grande mutation du paysage des enseignements supérieurs artistiques ».
En attendant de dessiner l’école d’art de demain, c’est un premier bilan, une cartographie complexe et passionnante de ces entités à part dans le champ de l’enseignement supérieur mais qui doivent faire face, comme ailleurs, à « une crise des finances publiques comme à la défiance dont la création fait actuellement l’objet”, qu’ont dressé les congressistes.
Toutes les écoles… ou presque
Le premier challenge, qui semblait à Lyon déjà résolu par le simple fait que presque toutes les écoles étaient représentées et réunies, mettait en jeu la grande disparité d’échelle, d’économies et de contextes politiques dans lesquelles ces dernières doivent actuellement évoluer. Or, à part quelques grands absents qui « ont tort », a souligné sans les citer le directeur adjoint en charge des arts plastiques au ministère de la Culture, Pierre Oudart (Les Beaux-Arts de Paris, dans le contexte que l’on sait après l’éviction de Nicolas Bourriaud et la nomination surprise de l’artiste Jean-Marc Bustamante étaient sans doute dans le collimateur), tous, petits et gros, étaient là pour défendre leurs particularités mais aussi ce qu’ils ont en commun.
Pour certains, vraiment en difficulté comme les beaux-arts de Perpignan, ces rencontres ont aussi été l’occasion de tirer la sonnette d’alarme, quand d’autres ne cachaient pas leur inquiétude face à la reconfiguration des régions et à l’impact que celle-ci ne manquerait pas de produire.
A noter sur ce point, que l’ANdEA a réussi ce tour de force de faire signer une lettre commune de tous les présidents d’EPPC réunis à Lyon : ils y ont ainsi réaffirmé leur soutien et rappelé qu’ « en tant qu’établissements culturels, elles participent au maillage de nos villes et de nos métropoles aux côtés des centres d’art, des galeries, des musées, des Frac et des autres équipements culturels ».
Une instance spécifique pour la recherche
Autre défi posé sur la table des négociations : la recherche. Là encore si le paysage de la recherche en art est encore flou et ne recouvre pas pour tous ses acteurs la même réalité, les Assises des écoles d’art ont réussi à imposer la création par décret d’un Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche au sein du ministère de la culture (CNESER culture), confirmée lors du discours de clôture de Fleur Pellerin.
Objectif, ne pas se faire dicter la loi et permettre à cette “instance supérieure composée de pairs” de fixer et d’évaluer elle-même les « orientations de nos établissements en matière de formation et de recherche » a décrypté Emmanuel Tibloux. Sur cette question de la recherche, Corinne Diserens, directrice de la ERG en Belgique, était venue apporter son point de vue extérieur sur la situation française : “La spécificité de la recherche en art qui ne peut en aucun cas s’appuyer sur les nomenclatures universitaires. Oui à la collaboration avec les université mais non à l’uniformisation » a-t-elle conclu avant d’édifier un contre-modèle, une voie à ne surtout pas suivre : celle des écoles d’art américaines : “Nous ne voulons pas que nos étudiants aient des dettes et qu’on les appelle des clients.”
Enfin, une table ronde intitulée « Fonction politique et sociale de l’école d’art », animée conjointement par la directrice de l’école de Clermont Muriel Lepage et le directeur de l’école d’Annecy, Stéphane Sauzedde, a permis de préciser l’engagement et le positionnement des écoles d’art au-delà de leurs disparités. Insoumises, autonomes malgré leur ralliement au processus de Bologne et leur mutation, pour la plupart des établissements, en EPCC, les écoles ont réaffirmé leur place à part et leur capacité de résistance à la normalisation.
L’enseignement de « la création par la création » a été brandi comme un mot d’ordre, tandis que la question dangereuse de la « professionnalisation » des étudiants et des artistes à venir était sur toutes les lèvres. Ce qui n’a pas empêché les différentes intervenants, comme l’artiste Mathieu Laurette, de lever le voile du dilemme avec lequel chacun doit désormais composer : “l’artiste est un travailleur indépendant mais il doit, dans le même temps, être dépendant – du contexte, j’entends”. En clair, les étudiants en art qui seront les artistes de demain doivent rester au-dessus de la mêlée tout en ouvrant grand les yeux sur le monde qui les entoure.
Sortir du piège de la sélection
Entre autres questions exogènes sur lesquelles les écoles d’art ont décidé d’ouvrir les yeux et qui ont occupé nombre de discussions : la discrimination homme femme à laquelle une charte de l’ANdEA a répondu au printemps et cet autre chantier en cours : la discrimination sociale qui plane encore sur le profil des étudiants en art. Patrick Bloche, rapporteur de la loi sur la Liberté de la création, architecture et patrimoine adoptée le 6 octobre, a rappelé la nécessité de « garantir l’équité sociale dans l’accès à l’enseignement supérieur. Il faut sortir du piège de la sélection pour éviter que les étudiants aient recours à des prépas privées ».
« La loi sur la création, l’architecture et le patrimoine contenant par ailleurs une avancée notable pour les classes préparatoires publiques, en accordant le statut étudiant à leurs élèves, les conditions sont désormais réunies pour développer largement ces classes, notamment à partir des écoles supérieures d’art », a annoncé de son côté Emmanuel Tibloux en rappelant au passage qu’à la charte contre les discriminations, principalement ciblée sur les discriminations sexuelles, “succéderait un travail sur les discriminations sociales. Nous engageons par ailleurs une collaboration avec la Fondation cultures et diversité visant à mieux faire connaître nos écoles et à favoriser leur accès à des populations qui, pour des raisons sociales, en restent éloignées”.
« Les écoles pourraient être des laboratoires de gouvernance plus partageuses avec les enseignants et les étudiants » a enfin estimé Pierre Oudart. Laboratoire, le mot est lâché. Pionnières et visionnaires, les écoles d’art françaises sont aujourd’hui “au milieu du gué” pour reprendre l’expression d’Emmanuel Tibloux. Au milieu du gué et dans une position idéale pour porter des valeurs qui leur sont propres tout en se saisissant de ces valeurs communes qui font avancer la société.
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