Adapté par Frédéric Boyer et Olivier Cadiot et mis en scène par Ludovic Lagarde, Lear is in Town propose une version réduite et parfois, hélas, réductrice de la pièce de Shakespeare.
Dans l’espace lunaire de la carrière de Boulbon, la présence d’un monolithe noir apporte une dimension de science-fiction. Le théâtre de Shakespeare peut se conjuguer à tous les temps ; alors pourquoi pas au futur ? Ecouteurs sur les oreilles, les acteurs Clotilde Hesme, Johan Leysen et Laurent Poitrenaud confirment cette impression de se situer dans un univers d’anticipation. Mais le futur dans Lear is in Town, adaptation du Roi Lear due à Frédéric Boyer et Olivier Cadiot mise en scène par Ludovic Lagarde, signifie surtout que tout a déjà eu lieu. Même si Lear n’a pas encore rendu l’âme. Il est allongé sur le sol tandis qu’une voix-off déroule les événements qui ont conduit à sa déchéance. Le travail sonore joue un rôle essentiel dans cette mise en scène de ce qui pourrait aussi bien être une pièce radiophonique. D’un geste, on arrête la bande qui repart en arrière et répète une phrase significative.
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Que s’est-il passé ? Comment la folie a-t-elle fait irruption dans le cerveau de Lear ? Des scènes symptomatiques sont rejouées comme dans une thérapie. À commencer par ce passage à l’acte où le roi partage son royaume entre ses trois filles en échange de déclarations d’amour ; s’irritant du « rien » que lui oppose sa cadette et préférée Cordélia, seule sincère et qui pour cela héritera de rien et sera bannie.
Ce Lear rewind, où l’on appuie sur la touche « marche arrière » du magnétophone pour revenir dans le passé, juxtapose ainsi plusieurs temporalités, Lear revivant en quelque sorte les étapes de sa folie. Assez vite cependant, le procédé s’essouffle. L’opposition entre passé et présent a quelque chose d’artificiel. Sans doute parce que le drame par définition se conjugue au présent. Progressivement apparaît un problème de dramaturgie dont on soupçonne qu’il est dans une certaine mesure lié à l’adaptation de Frédéric Boyer et Olivier Cadiot. En réduisant la pièce à quelques personnages, mais aussi en cherchant à trop rationaliser ce qui relève de l’inexplicable, ils laissent de côté une bonne partie de ce qui fait le sel de ce texte inépuisable.
Il y a une progression dans la folie de Lear. Étape après étape, son immersion douloureuse, violente dans ce qui ressemble en même temps à une expérience initiatique, est seulement effleurée. Du coup, malgré la présence d’acteurs irréprochables, le drame n’est pas vraiment traité, tandis que le texte gentiment dérisoire avec ses « tagada, tagada » ou « ce n’est pas le genre de la maison » semble rater sa cible. On sent comme un court-circuit entre des écritures incompatibles.
C’est d’autant plus dommage que Ludovic Lagarde a récemment mis en scène à la Comédie de Reims, dont il est le directeur, un fort réussi Rappeler Roland, à partir d’un texte de Frédéric Boyer inspiré par sa propre traduction en français moderne de La Chanson de Roland. En voyant ce Lear is in Town, on se dit que Frédéric Boyer et Olivier Cadiot devraient peut-être écrire leur propre version du Roi Lear en prenant cette fois toute liberté et distance avec l’original. Une chose est sûre, cette réduction de Shakespeare, pour intéressante qu’elle soit, ne rend compte que de très loin de ce qui se trame au cœur de ce texte essentiel.
Lear is in Town, d’après Shakespeare, traduction et adaptation Frédéric Boyer et Olivier Cadiot, avec Clotilde Hesme, Johan Leysen, Laurent Poitrenaud. Jusqu’au 26 juillet à la carrière de Boulbon. Dans le cadre du festival d’Avignon. Puis du 2 au 4 octobre à Orléans, du 5 au 15 novembre à Reims et les 18 et 19 novembre à Châteauroux
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